L’éternel (et vain) retour des corrections visuelles pour la dyslexie, par Frank Ramus

L’éternel (et vain) retour des corrections visuelles pour la dyslexie, par Frank Ramus

La dyslexie est un trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture qui touche entre 3 et 7 % des enfants. Décrite pour la première fois en 1896 par le pédiatre anglais William Pringle Morgan, elle a dès l’origine été comprise comme un trouble de nature visuelle : une “cécité congénitale spécifique aux mots”, non imputable à un problème ophtalmologique général tel que l’hypermétropie. Cette conception de ce trouble a continué à dominer la première moitié du XXe siècle, notamment sous l’influence du médecin américain Samuel Orton, qui a popularisé l’idée selon laquelle les enfants dyslexiques voyaient les lettres inversées, déformées ou dans le désordre. Une croyance qui demeure à ce jour l’un des principaux lieux communs sur la dyslexie.

Pourtant, on sait aujourd’hui que les confusions de lettres symétriques (b et d ou p et q) ne sont pas caractéristiques de la dyslexie : elles sont fréquentes chez les apprentis lecteurs. On a aussi compris depuis les années 1970 que les fréquentes erreurs de lecture des enfants dyslexiques ne sont pas dues à la similarité visuelle entre les lettres, mais à la similarité sonore entre les sons élémentaires de parole (phonèmes) qu’elles représentent (comme t et d, ou k et g). Ainsi, on sait que la dyslexie est dans la plupart des cas un trouble de nature langagière plutôt que visuelle. Les enfants dyslexiques ont du mal à apprendre à lire, non pas parce qu’ils voient mal les lettres, mais parce qu’ils ont du mal à conceptualiser et mémoriser les phonèmes. Ce “déficit phonologique” se manifeste aussi dans la difficulté qu’ils ont à faire des rimes ou des contrepèteries à l’oral.

Malgré toutes ces connaissances accumulées depuis cinquante ans, les théories visuelles n’en finissent pas de revenir. Et avec elles, tout un cortège de traitements présumés. Dans les années 2000, la mode était aux lunettes et aux filtres colorés. Plus récemment, on a vu apparaître des polices de caractères, lampes, lunettes, sous-titres et écrans, tous censés faciliter la lecture aux personnes dyslexiques. Malheureusement, ces produits sont le plus souvent conçus par des entrepreneurs qui ne prennent pas le temps de vérifier la crédibilité scientifique de l’hypothèse sous-jacente et sont mis sur le marché avant toute évaluation de leur efficacité. Et lorsque celle-ci est testée, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Aucun effet constaté pour les lampes et lunettes

Les polices censées aider les personnes dyslexiques n’ont apparemment aucun effet sur la lecture. En revanche, les polices “sans serif ” (sans fioritures, comme Arial) sont celles qui ont la meilleure lisibilité pour tous. Et les apprentis lecteurs (dyslexiques ou pas) bénéficient souvent de caractères plus gros et plus espacés. Les sous-titres spéciaux proposés par une chaîne de télévision n’ont fait l’objet d’aucune évaluation scientifique, mais il n’y a pas de raison d’en attendre plus que des polices adaptées.

Quant aux lampes, lunettes et écrans, leur principe est basé sur une unique étude publiée en 2017 par deux physiciens rennais qui proposaient une nouvelle théorie rétinienne de la dyslexie. Ces travaux ont été sévèrement critiqués et ses résultats n’ont jamais été répliqués. Deux études menées par des chercheurs indépendants qui ont testé les effets des lampes et des lunettes sur la lecture n’ont trouvé aucun effet.

Plusieurs travaux ont également été menés par des fabricants. Curieusement, leurs résultats n’ont jamais été publiés. Les chercheurs qui ont collaboré à ces études l’ont fait sous clause de confidentialité. Deux d’entre eux ont néanmoins répondu au média anglais The Transmitter. L’une des scientifiques n’a trouvé aucun effet, mais a été interdite par le fabricant de publier cette conclusion. L’autre chercheur n’a pas été autorisé à voir les résultats obtenus par le fabricant à partir de ses données. Autrement dit, les conclusions des essais cliniques sont dissimulées lorsqu’elles ne sont pas suffisamment favorables au fabricant. Pendant ce temps, la diffusion de ces produits se poursuit à grand renfort de publicité. Les médias qui ont abondamment diffusé les nouvelles de ces “innovations” ont aussi leur part de responsabilité.

Les familles d’enfants dyslexiques, parfois désespérées de venir en aide à leurs enfants après des années d’échec scolaire, sont des publics particulièrement vulnérables aux vendeurs de traitements miracle. On ne le redira jamais assez : si les promesses sont trop belles, c’est probablement qu’elles sont fausses.

Franck Ramus est chercheur au CNRS et à l’Ecole normale supérieure (Paris).

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