Bientôt des méga-camions sur les routes européennes ? Le dossier qui divise Bruxelles

Bientôt des méga-camions sur les routes européennes ? Le dossier qui divise Bruxelles

Des camions plus longs transportant des charges plus lourdes, voire des méga-camions à plusieurs remorques : ces véhicules contribueront-ils à réduire les émissions de gaz à effet de serre du fret routier ? L’idée peut paraître saugrenue. Mais c’est grâce à elle que des membres de la commission des transports et du tourisme (TRAN) du Parlement européen entendent hâter la décarbonation du secteur des transports. En augmentant les capacités de chargement des poids lourds qui sillonnent le Vieux Continent, la mesure soumise à un vote du Parlement mardi pourrait permettre de réduire le trafic… Et donc, les émissions de CO2 des véhicules diesel déjà en circulation.

Toutefois, le projet prétend surtout améliorer la compétitivité des camions et des bus électriques. En augmentant la capacité de chargement pour compenser la perte de place induite par l’installation de batteries ou de piles à combustible, il doit pousser les transporteurs routiers à adopter ces véhicules “verts” au plus vite. Il y a urgence : si les modèles hybrides et électriques ont bien pénétré le marché des bus – ils ont représenté quasiment 30 % des ventes en 2023 d’après l’ACEA, le lobby européen de l’industrie automobile –, ils peinent à conquérir celui des camions. L’an dernier, 96 % des poids lourds achetés en Europe roulaient au diesel, contre 1,5 % grâce à des batteries ou de l’hydrogène.

Reste que la révision soutenue par la rapporteuse espagnole Isabel García Muñoz n’est parvenue qu’à susciter une vaste fronde contre elle. Et ce, jusqu’au sein même de la commission TRAN, qui se déchire sur la question des méga-camions. En l’état, le texte permet de faciliter leur circulation dans les Etats européens, sous réserve que ceux-ci les aient autorisés dans leurs propres réglementations nationales. Dans un entretien accordé au site Reporterre, sa présidente, Karima Delli, voit dans cette initiative une “décision désastreuse”. L’eurodéputée écologiste française juge que le développement de ces véhicules, dont le poids peut grimper jusqu’à 60 tonnes, va “à contresens de ce qu’il faudrait faire en matière d’écologie”. Et de soulever les questions posées par ces véhicules taille XXL en matière de sécurité routière et d’usure des routes.

Les acteurs du fret ferroviaire vent debout

A l’extérieur, les critiques les plus virulentes sont portées par les acteurs du ferroviaire, directement exposés à la concurrence d’éventuels camions sous stéroïdes. En France, l’alliance 4F anticipe déjà “les conséquences funestes d’un texte […] sur les modes plus vertueux tels que le ferroviaire et le fluvial”. Et ce, alors que la relance du transport de marchandises par rail a été imposée comme une priorité en Europe comme en France… Dans l’optique, justement, de réduire l’empreinte environnementale des camions, tenus pour responsables avec les bus de 28 % des émissions de gaz à effet de serre du transport routier à l’échelle de l’UE.

Depuis Bruxelles, l’influente Communauté européenne du rail (CER) a engagé en janvier le cabinet allemand D-Fine pour mesurer les effets de cette possible révision des dimensions des poids lourds. Naturellement favorable à son commanditaire, l’étude est sans appel. Une augmentation du poids brut des véhicules ainsi que l’autorisation des méga-camions “entraîneraient un transfert modal de 21 % en moyenne pour tous les segments du ferroviaire”, duquel “résulteraient jusqu’à 13,3 millions de trajets supplémentaires pour les camions et 6,6 millions de tonnes de CO2 en plus”. Un résultat à contre-courant de l’urgence écologique. Les discussions au Parlement européen risquent d’être animées.

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