“L’homme qui en a trop vu” et “Rwama” : deux histoires du monde arabe en BD

“L’homme qui en a trop vu” et “Rwama” : deux histoires du monde arabe en BD

L’Orient compliqué aurait-il trouvé dans la simplicité de la bande dessinée son médium de prédilection ? Après L’Arabe du futur de Riad Sattouf, Dissident Club de Taha Siddiqui, pour ne parler que des deux albums dont je vous ai entretenus ici même, et avant Rwama de Salim Zerrouki dont je vous parlerai plus loin, voici L’homme qui en a trop vu d’Ali Arkady, Simon Rochepeau et Isaac Wens, paru ce mois-ci chez Futuropolis.

L’homme en question, c’est Ali Arkady, né au Kurdistan irakien en octobre 1982, il a grandi pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988). “Je me souviens de l’obscurité dans les abris antiaériens où ma famille se réfugie. Ma mère me raconte des histoires pour m’endormir, pendant que mon père, artiste, pratique la calligraphie arabe, à la lueur des bougies.” Les hélicoptères, les balles perdues, les rues en ruines où les chiens dévorent les cadavres, “c’était comme ça”. Entre deux massacres de la population kurde perpétrés par Saddam Hussein, la famille d’Ali Arkady déménage, et ça continue avec la guerre du Golfe, je ne vais pas raconter toutes les guerres à travers lesquelles il est passé, je n’aurais plus la place de parler de son album qui commence le 16 octobre 2016, dans la voiture qui le conduit à la base militaire de Qayyarah à 90 kilomètres au sud de Mossoul alors tenu par le groupe Etat islamique et que les forces de la coalition interethnique nationale s’apprêtent à attaquer et qu’Ali Arkady doit suivre comme photographe reporter. Comme s’il n’en avait pas encore assez vu, des pillages, des tortures, des crimes de guerre en tous genres, comme s’il voulait maintenant immortaliser les morts.

Très vite, on ne se pose plus la question de la qualité graphique de l’ouvrage, c’est seulement quand on tombe sur les doubles pages comme les 26-27 ou 44-45, peut-être parce qu’elles sont inspirées des photos prises par Arkady, qu’on s’arrête de lire pour regarder la couleur du sable, des treillis, d’un drapeau blanc, d’un tee-shirt du Milan AC, et du cachet de captagon qu’on lui propose.

Les vrais ennuis commencent…

Le reporter photographie et enregistre tout, il s’approche de la vérité de la guerre, aspiré par l’épouvante qu’elle lui inspire. Il en aurait déjà largement assez pour en faire un bon reportage, mais il continue, et quand tous ses collègues s’en retournent à la civilisation pour tirer profit des risques qu’ils ont assez pris, lui, sous prétexte de “faire son métier jusqu’au bout”, il décide de rester avec l’armée, d’avancer sur Mossoul avec les futurs vainqueurs, et de voir ce qui se passe du côté du bon côté de la guerre, celui des libérateurs. Il ne se demande pas pourquoi les officiers le laissent photographier les mauvais traitements que leurs soldats infligent inutilement aux populations soupçonnées de collusion avec Daech, il se croit protégé par son amitié avec le chef.

Du témoignage à la connivence, de la connivence à la complicité, il est déjà trop tard : Ali Arkady est devenu l’otage de celui avec lequel il croyait partager le destin. S’il veut sauver sa peau, ce sera au prix de son âme. Pour celui qui a traversé toutes les guerres comme un poisson entre les mailles du filet, les vrais ennuis commencent…

A l’autre bout du Moyen-Orient compliqué, en Algérie, ça n’est guère plus joyeux, et à peine moins violent. Dans Rwama, Salim Zerrouki raconte sa vie, il annonce plusieurs tomes, une série qui serait pourquoi pas aussi longue que L’Arabe du futur de Riad Sattouf qui publia lui aussi sa première série chez Dargaud. D’ailleurs les deux auteurs sont nés en 1978. Les comparaisons s’arrêtent où commence l’art graphique de Zerrouki, plus inventif, plus riche que celui de Sattouf, et ses aventures de petit garçon plus impliquées dans l’histoire politique de l’Algérie, infiniment plus mouvementée que ne le fut celle de la Syrie sous le règne atrocement stable de Hafez el Assad. Deux visages du social-fascisme arabe, infesté de marxisme et d’islamisme, également hideux. On a déjà hâte de lire le prochain tome de Rwama qui, en algérien, veut dire “les Français”.

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