LR et les européennes : le sursaut, le sursis ou la chute

LR et les européennes : le sursaut, le sursis ou la chute

L’angoisse étreint jusqu’à Manfred Weber. Il y a quelques mois, le président du PPE – groupe de droite au Parlement européen – converse avec un député Les Républicains. Et laisse percer son inquiétude. “On fait quoi si LR disparaît de Bruxelles ?” L’Allemand s’interroge à haute voix sur les conséquences d’un tel choc électoral, prélude d’une recomposition politique. Il n’est pas le seul.

“Scrutin de survie”, “vote existentiel”… Les cadres LR rivalisent de formules solennelles pour résumer l’enjeu des élections européennes. La droite, créditée de 7 % à 8 % d’intentions de vote, devra dépasser la barre des 5 % pour conserver sa délégation d’élus. Voilà pour l’arithmétique. Mais l’héritier du RPR doit préserver bien plus qu’une poignée de sièges : son rang. Son apparence de grand parti. En politique, la mort prend la forme du déclassement.

Rien n’y fait. Ni les défaites successives aux législatives. Ni la déroute de Valérie Pécresse à la présidentielle. Les Républicains espèrent encore renouer avec leur glorieux passé et reconquérir le pouvoir en 2027. C’est en tout cas le discours officiel. Leur président, Éric Ciotti, entretient la flamme d’un “parti de gouvernement” prêt à incarner l’alternance à Emmanuel Macron. L’élu a constitué un contre-gouvernement, se fend de courriers réguliers au chef de l’Etat et pousse la candidature élyséenne de Laurent Wauquiez.

Le pays n’est-il pas à droite ? Les Français ne veulent-ils pas tourner la page du macronisme ? On empile les arguments – parfois justes – pour se rassurer. Les esprits chagrins décèlent plutôt une illusion. Celle d’un parti incapable d’accepter sa rétrogradation. Telle la mère de famille du film Good Bye Lenin !, persuadée de vivre en RDA malgré la chute du mur, LR refuserait de prendre acte d’une tripartition politique où il occupe une place mineure.

La théorie… et la pratique

François-Xavier Bellamy doit franchir la haie du 9 juin pour entretenir ce rêve de grandeur. La tête de liste des Républicains ne manque pas d’atouts. L’eurodéputé jouit d’un bilan respecté à Bruxelles et esquisse une ligne “euroréaliste” plutôt consensuelle. L’homme a appris de son échec de 2019 et préfère désormais les médias aux meetings où l’on s’adresse à un public de convaincus. L’étoile macronienne a enfin pâli depuis 2019. Le chasseur pourrait devenir proie. “Sur le papier, on a un boulevard, note un proche d’Éric Ciotti. Nous sommes de droite, fermes sur le régalien, pro business sans être brutaux.”

Le problème avec la théorie, c’est qu’elle précède la pratique. LR ne parvient pas à desserrer l’étau Renaissance-RN. Les deux blocs se ciblent mutuellement et invisibilisent leurs concurrents, sur fond de guerre en Ukraine. La droite subit cette stratégie d’ignorance, déjà éprouvée en 2019. “Ils font le remake, et c’est plutôt bien joué. Le pauvre Bellamy est coincé entre les deux”, constate un hiérarque LR. Enfermé, aussi, dans un cercle vicieux. La droite manque d’oxygène, mais son rabougrissement électoral la prive d’un temps de parole conséquent dans les médias audiovisuels. Et qu’importe le recrutement de l’agricultrice Céline Imart ou du général Christophe Gomart, jolis coups politiques à obsolescence programmée.

Ancrer la macronie à gauche

Mais il faut bien forcer le destin. François-Xavier Bellamy tente de reconstituer un clivage gauche-droite autour de sa candidature. Il dépeint la macronie en force de gauche pour attirer dans son giron des électeurs de droite déçus par Emmanuel Macron ou tentés par Jordan Bardella. Quand la tête de liste Renaissance vante ses votes communs avec Raphaël Glucksmann, l’eurodéputé LR sourit. Il débattra avec le fondateur de Place publique le 14 avril sur BFMTV. “Nous devons montrer notre opposition au macronisme et écarter tout soupçon”, confie en privé François-Xavier Bellamy. Le RN, lui, est renvoyé à son absence de bilan à Bruxelles. Marion Maréchal, chef de file de Reconquête, à son inexpérience. La confrontation idéologique avec l’extrême droite n’est pas une priorité.

LR a mis en musique cette stratégie ce samedi 23 mars, lors d’un meeting de lancement de campagne à Aubervilliers. Devant près de 3 000 militants, François-Xavier Bellamy dépeint les eurodéputés macronistes en “force d’appoint” des socialistes et cible leurs votes pour la “décroissance agricole” ou leur hostilité au nucléaire. “Nous sommes les seuls à droite dans cette campagne”, a lancé en écho Éric Ciotti. A Bruxelles comme à Paris, LR s’arroge le monopole de la droite. LR et droite : les deux termes ne se confondent pourtant plus depuis 2017. Ce courant politique est dispersé aux quatre vents, l’ex-UMP est trop faible pour l’incarner à lui seul. Et risque de perdre sa raison d’être. “Une famille politique inutile est condamnée à mourir”, aime à répéter Brice Hortefeux.

La formation d’Éric Ciotti est prête à bien des ruptures pour récupérer cette singularité. Les eurodéputés LR ne soutiennent pas Ursula von der Leyen, pourtant membre comme eux du PPE, pour la présidence de la Commission. Son tort ? Sa proximité avec le camp présidentiel – en atteste sa présence au campus de rentrée Renaissance en octobre 2023, à Bordeaux – et son attitude sur les sujets agricoles et environnementaux. La manœuvre est politique, LR ne quittera pas le PPE. Mais le parti souhaite juste se prémunir de tout procès en collusion avec la macronie, cadeau inespéré à l’extrême droite.

“Si on fait moins de 5 %, rideau”

Rompre avec le macronisme, jusqu’où ? A rebours de leur ADN libéral, les sénateurs LR ont rejeté jeudi 21 mars la ratification du Ceta, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. En pleine crise agricole, le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, invoque une défense des éleveurs français face à la “concurrence déloyale”. L’exécutif n’y voit qu’un coup politique à l’aube des européennes. Rompre avec le macronisme, quitte à renverser la table ? Éric Ciotti menace l’exécutif d’une motion de censure à l’occasion du prochain texte budgétaire du gouvernement. Un visiteur régulier d’Emmanuel Macron s’est ainsi inquiété devant le chef de l’Etat des trop modestes intentions de vote de LR aux européennes. D’une droite faible, prête à prendre tous les risques. “Si je suis député LR avec des sondages à 7 %, je fais dérailler le train et censure le gouvernement avant le vote”, a-t-il confié au président.

La majorité relative a offert à LR un rôle d’arbitre à l’Assemblée nationale. Le parti a profité de ce statut – don du ciel et cadeau empoisonné – pour peser sur l’agenda législatif. Le dimanche 9 juin sonnera comme un retour à la réalité. LR connaîtra son poids dans l’opinion. Les vautours rôdent, déjà prêts à dépecer le cadavre en cas d’effondrement. On les trouve en macronie, mais aussi au sein des Républicains, parmi les adversaires d’Éric Ciotti. Un dirigeant résume : “8,5, on limite la casse ; 10 c’est un bon score ; 12, très bon. Et si on fait moins de 5, rideau.” Le sursaut, le sursis, ou la chute.

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