Macron et l’arc républicain : “Le président n’est pas et ne peut pas être au-dessus des partis”

Macron et l’arc républicain : “Le président n’est pas et ne peut pas être au-dessus des partis”

Auteur de “La Force de gouverner” (Gallimard, 2015), ouvrage de référence sur la République, l’historien Nicolas Roussellier revient sur la volonté de certains d’exclure tel ou tel parti du champ républicain. Un débat dépassé ?

L’Express : Emmanuel Macron a déclaré n’avoir “jamais considéré que le RN ou Reconquête s’inscrivaient dans l’’arc républicain'”. Est-ce au chef de l’Etat de dire ceux qui s’y trouvent ou non ?

Nicolas Roussellier : Sous la Ve République, le président est devenu un chef de majorité politique et contrairement à ce qu’espérait le général de Gaulle, il n’est pas et il ne peut pas être au-dessus des partis. Il est donc normal qu’il tente de définir sa majorité avec les instruments rhétoriques dont il dispose. Probablement le président ne veut-il pas laisser ce rôle au Premier ministre. C’est la politique. Le vrai problème tient au mot “républicain”, à sa force ou plutôt son manque de force actuelle. Historiquement, le terme était puissant parce que “divisif”. Pendant tout le XIXe et pour une bonne partie du XXe siècle, on avait, face à face, la clarté du combat républicain et la clarté du combat antirépublicain. Les monarchistes ou les bonapartistes rejetaient explicitement ce régime puisqu’ils défendaient un modèle opposé. Il y avait un phénomène d’identités politiques et elles se nourrissaient de la clarté de leur opposition.

On retrouve cela avec certaines des ligues de l’entre-deux-guerres ; non seulement elles étaient opposées à la République, à son régime et son esprit, mais elles étaient fières de l’être. Elles trouvaient une partie des Français pour qui être contre la “gueuse”, contre le “fumier” du Palais-Bourbon avait du sens. Tous les chefs républicains, de Léon Gambetta à Léon Blum, n’ont donc jamais cessé d’utiliser cette vision du “parti” républicain ou de l’esprit républicain, et ils avaient bien raison. C’était un moyen de fonder le régime non par sa naissance (qui était fragile) mais par un combat sans cesse ranimé contre les ennemis de la République. C’était aussi un outil de fabrication de majorités dans l’Hémicycle, à une époque où les partis étaient faibles.

A l’inverse, le Premier ministre Gabriel Attal estime, lui, que “l’arc républicain, c’est l’Hémicycle”, et que derrière les partis il y a “des millions de Français qui ont voté”. La procédure du vote transforme-t-elle de facto un parti en organe républicain ?

Cela souligne la difficulté actuelle du mot “républicain” et l’inefficacité de sa charge excluante. Le RN se trouve dans l’Hémicycle. Ses leaders, père et fille, n’ont cessé de se présenter aux élections présidentielles en réussissant à se qualifier au second tour à trois reprises. Les opposants historiques à la République, eux, non seulement faisaient l’impasse sur les élections mais se réclamaient avec fierté d’un tel rejet. C’est le cas bien connu de l’Action française. Donc, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, l’intégration par l’élection et l’entrée dans l’Hémicycle ont changé la donne : cela offre au RN un instrument tactique nouveau et incontestablement efficace. Le flou ne porte plus sur le mot “républicain” lui-même, mais sur autre chose, sur la façon dont on se situe vis-à-vis du pluralisme qui caractérise notre société.

Et quand LFI, au lendemain de l’élection présidentielle 2022, remet en cause la légitimité du président élu sous prétexte qu’il ne l’a été qu’avec 38 % des suffrages des inscrits, ne remet-elle pas en cause aussi le jeu démocratique de notre République ?

Historiquement, la gauche, jusqu’à LFI comprise, bénéficie d’une sorte de droit d’aînesse dans sa présence au sein de l’arc républicain. Cela est dû à la diversité des cinq expériences républicaines françaises : chaque courant de la gauche a pu se forger sa république de référence, celle de 1793, celle de 1848 ou bien même celle de la Commune de 1871. On le voit bien avec le Parti communiste : malgré le stalinisme et le soutien apporté à un régime totalitaire pendant des décennies, malgré la pratique d’un militantisme violent et intolérant, il a sa place dans l’idée républicaine, au moins depuis la Résistance. Dire que le président Macron a été “mal élu” en raison du mélange des reports de voix du second tour est un constat politiquement banal, c’est de bonne guerre. Cela ne fait pas sortir de l’arc républicain. En revanche, la violence verbale incontrôlée, la stratégie de désinstitutionnalisation et l’incapacité à nommer le fait du 7 octobre en Israël pour ce qu’il est n’ont pas d’équivalent dans l’histoire des partis démocratiques français.

Critiquer les institutions de la République ou une décision du Conseil constitutionnel, comme l’ont déjà fait le RN et LFI et même LR, est-ce être antirépublicain ?

Compte tenu du fait que les institutions, qui sont normalement de nature arbitrale et impartiale, sont amenées à intervenir de plus en plus souvent dans le jeu politique, comme le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat – on pourrait y ajouter le COR [NDLR : le Conseil d’orientation des retraites] lors du débat sur les retraites –, il est normal qu’elles reçoivent des “coups” et des critiques. Ces institutions ont de facto un poids nouveau dans le débat public. C’est la rançon de leur succès. C’est aussi le reflet d’un processus de judiciarisation qui concerne toutes les démocraties modernes. Les interprétations du Conseil se fondent sur la jurisprudence et celle-ci, par définition, est sujette à la subtilité et donc à la variété des interprétations. Il est tout à fait légitime de proposer des réformes de ces institutions à partir de critiques qu’on leur aurait faites. Demander leur suppression par un rejet de l’Etat de droit serait évidemment tout autre chose.

Plus aucun parti ne se définit comme antirépublicain, ni à l’extrême droite ni à l’extrême gauche. Tout le débat porte sur “les valeurs républicaines”. Ne sont-elles pas aujourd’hui brouillées ?

Vous avez raison : il n’y a plus de parti qui se présente comme opposant à la République en tant que telle. Même le critère de la mémoire tend à s’estomper. A son origine, le FN avait encore une identité anti-gaulliste, Algérie française, anti-Ve République et un lien avec Vichy. Aujourd’hui, Marine Le Pen, qui se rend à la panthéonisation de Manouchian, cherche à s’intégrer dans la matrice mémorielle de la République.

De l’autre côté, LFI ou d’autres groupes qui se disent partisans d’une VIe République ne sont pas vus pour autant comme antirépublicains. Leur VIe République est au contraire présentée comme une meilleure République, qui fait renaître des éléments plus démocratiques de nos anciennes expériences républicaines (surtout la Ire et la IIe République). Le fait que notre “tradition” républicaine soit une tradition de changements perpétuels dans sa dimension constitutionnelle ne facilite pas la fixation des repères.

Est-il possible que le ver soit dans le fruit ?

L’idée de République est devenue aujourd’hui beaucoup plus large qu’autrefois. Elle est un territoire sans frontières, ce qui est nouveau par rapport à notre passé. On pourrait s’en réjouir et dire que c’est la marque d’une meilleure intégration démocratique. Mais d’autres signes vont dans le sens contraire. La République est une auberge espagnole où chaque parti peut tirer son épingle du jeu en trouvant tel ou tel instrument pour en exclure l’autre. Si je dis que le RN n’appartient pas à l’arc républicain, j’envoie un signe verbal ou gestuel pour dire que je suis de gauche, et cela peut faire du bien ; mais, dans le même temps, je ne dis rien sur le fond des problèmes réels du moment et de notre pays. Mis à part les Français qui, pour des raisons familiales ou par goût pour l’Histoire, ont encore des oreilles qui résonnent au souvenir de la défense de la République en 1934, de la Résistance ou des combats contre les dictatures qui étaient à nos portes (l’Espagne par exemple), on peut avoir l’impression que la subtilité de l’arc républicain n’embraye pas sur la plus grande partie de l’opinion publique.

Faut-il redéfinir ce qui fait “République” ?

Dans l’expression “arc républicain”, c’est le mot “républicain” qui fait problème… Non pas qu’il ne soit pas noble à l’origine, mais à cause de l’obsolescence de son sens concret, de sa dimension performative, pourrait-on dire. Il y aurait beaucoup plus de sens à parler “d’arc de la concorde” et à utiliser ce critère pour voir qui se situe dedans et qui se situe dehors. C’est un impératif qui s’impose dans la situation actuelle et encore plus dans celle de demain. On peut parler de la concorde minimale dans la pratique de nos institutions et dans le comportement politique, mais surtout de la concorde dans le concret, dans notre société telle qu’elle est et aussi de la concorde entre les groupes d’origines diverses ou entre les différentes religions. Ce critère me paraît beaucoup plus éclairant pour s’orienter dans l’épais brouillard qui nous entoure. Si cette notion rappelle la capacité à intégrer un fils d’Italien comme Gambetta ou un juif de France comme Léon Blum, alors, oui, on pourrait réévaluer le mot “républicain” et parler plutôt de “concorde républicaine”…

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