Macron et les panthéonisations : un terrible aveu de faiblesse, par Abnousse Shalmani

Macron et les panthéonisations : un terrible aveu de faiblesse, par Abnousse Shalmani

Le Panthéon est une affaire sérieuse. Comme l’écrivait Marcel Pagnol dans Marius : “L’honneur, c’est comme les allumettes : ça ne sert qu’une fois.” Je me souviens d’avoir signé – je ne signe pour ainsi dire jamais rien – la pétition pour y faire entrer le grand résistant Pierre Brossolette. Je trouvais ahurissant qu’il n’y soit pas déjà installé en majesté. Cet homme d’honneur, d’un courage hors du commun, d’une constance morale extraordinaire, qui œuvrait pour la République et contre les nazis dès 1940, qui préféra se suicider en se défenestrant après son arrestation par la Gestapo, après la torture, après avoir donné un nom, le sien, a toujours eu sa place dans le panthéon des grands hommes. Sans Pierre Brossolette, pas de résistance unifiée. Celui qui fut exclu par la SFIO quelques jours avant sa mort, qui projetait déjà la France dans la Ve République, n’entra au Panthéon qu’en 2015. Une affaire sérieuse, donc.

Charles de Gaulle n’aura panthéonisé que Jean Moulin ; Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing avaient de toute évidence du pain sur la planche de la France et nettement moins besoin de symbole en guise de cache-impuissance, car aucune panthéonisation n’a eu lieu sous leurs présidences ; François Mitterrand, en deux septennats, tient le record avec sept entrées (dont Condorcet ainsi que Pierre et Marie Curie) ; Jacques Chirac a présidé à deux cérémonies, pour André Malraux et Alexandre Dumas ; Nicolas Sarkozy a fait entrer sur la montagne Sainte-Geneviève Aimé Césaire ; François Hollande a fait d’une pierre quatre entrées en honorant les résistants (Pierre Brossolette donc, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillon et Jean Zay). Emmanuel Macron n’aura donc pas battu le nombre d’entrées au Panthéon sous ses presque deux mandats (mais ce n’est pas fini) – on remarquera que la gauche panthéonise plus vite que son ombre.

Mais l’actuel président français aura donné à ces entrées une dimension politique qui confine à la gêne. Simone Veil (2018), Maurice Genevoix (2020), Joséphine Baker (2021) et Missak Manouchian (2024) disent l’impuissance et comme une course contre la montre du séparatisme, un aveu de faiblesse face aux questions, doutes, abîmes qui déchirent la France. Ils disent aussi une forme de pensée magique chez Emmanuel Macron, qui ne cesse de me surprendre. Le “en même temps” atteint l’absurde quand le président change de discours en passant d’un média à un autre. Comme s’il avait si bien intégré la réalité de l’archipélisation de la société française qu’il n’imagine pas des non-abonnés de L’Humanité lire L’Humanité.

Le malheur de ce “en même temps” macronien est depuis toujours le même, mais il empire, car les événements empirent. Quand on se sent obligé par un “en même temps” devenu idéologique donc rigide d’annoncer un hommage aux victimes franco-israéliennes du pogrom du 7 octobre, puis, rapidement, un autre, à venir, aux victimes franco-gazaouies, on ne dit pas seulement qu’un mort est un mort, on se justifie auprès des antisémites d’un hommage par un autre hommage. Peut-être que les choses auraient été différentes si Emmanuel Macron avait marché contre l’antisémitisme, si le jour même de la marche il n’avait pas accordé une interview à la BBC où il sous-entendait un génocide en cours à Gaza, s’il n’avait pas pris conseil auprès de Yassine Belattar pour prendre artificiellement le pouls des banlieues qu’il imagine donc antisémites, s’il avait, par contre, œuvré pour que les instances plus ou moins représentatives des Français musulmans appellent à marcher contre l’antisémitisme.

Le sketch de l’arc républicain

Le sketch de l’arc républicain auquel appartiendrait ou non le RN selon les jours, les lunes et les médias en fait partie. Confusion du discours, confusion du politique, confusion mémorielle. Car, finalement, pourquoi le Panthéon ? Pourquoi lui ? Maintenant ?

S’il est juste et beau que Missak Manouchian entre au Panthéon, s’il est juste et beau que l’Affiche rouge tout entière et les métèques qui ont combattu pour la France libre soient honorés par la France reconnaissante, il est dommageable que les initiatives du président soient dorénavant entachées d’un entre-deux frustrant soupçonné de politicaillerie malsaine qui dessert tout ce qu’il touche.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste

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