Management : faut-il être encore politique pour réussir ?

Management : faut-il être encore politique pour réussir ?

Faire le gros dos dans les moments difficiles pour ne pas heurter son supérieur en furie. Etre capable de trouver le bon moment pour lui apporter ses chocolats préférés, afin que la pression descende et qu’il soit capable de reprendre la barre de son navire. Sourire quand il éructe et le calmer, en lui affirmant qu’il a raison mais que les autres n’ont pas forcément son intelligence rare. Un brin exagéré ou hypocrite, c’est une manière de s’assurer une place au chaud, à ses côtés. Le salaire et le grade qui vont avec et, par un bond extraordinaire dans un système en silo, quand on est politique dans l’entreprise, on peut monter très haut.

“Aller plus haut, aller plus haut / Et croire encore à l’avenir / Aller plus haut, aller plus haut / Se rapprocher de l’avenir”, chante Tina Arena. Pas forcément le plus grand travailleur, ni nécessairement le plus doué, certainement pas l’inventeur qui met au point des algorithmes compliqués, il est en revanche le collègue privilégié de ceux qui sont en situation de pouvoir. C’est l’indispensable “politique”, capable de rassurer et d’encourager sans jamais ni heurter, ni leur faire perdre de leur puissance. Est-ce toujours la voie royale pour progresser dans une entreprise qui se remet, aujourd’hui, ouvertement en cause ?

Les leçons de l’Histoire

“Quels sont les mécanismes qui ont conduit le rejeton d’une famille de financiers ‘moyens’ du Languedoc à devenir, en 1726, le principal ministre de Louis XV ?”, interroge l’historien Fabrice Malcor (L’Ascension du cardinal de Fleury (1653-1726), Presses universitaires de Rennes, 2023). Seuls les fins politiques réussissent à entrer près du roi, à vivre en cour et à y briller. Mais seuls les génies y demeurent et font carrière. La postérité se souvient de Richelieu et Mazarin. Monsieur de Fréjus alias Fleury mérite d’être rehaussé à leur niveau : le coup de pouce d’un oncle financier, une carrière ecclésiastique classique au XVIIe siècle, ce destin était honorable. “Les moteurs de l’ascension sont ensuite individuels et reposent sur le jeu des clientèles.” Le cardinal le moins connu des trois deviendra pourtant précepteur du jeune Louis XV, véritable soutien du roi, un Premier ministre dévoué et respecté. Envié.

Trois siècles et une révolution plus tard, les jeux de pouvoirs dans les entreprises sont identiques : si tout le monde n’a pas l’occasion d’observer une ascension aussi remarquable que celle de Fleury, chacun a en mémoire d’incroyables réussites. Elles sont dues à cinq qualités : l’audace, la persévérance, la résilience, l’intelligence et le sang-froid. La chance est une donnée majeure sans laquelle il est inutile de s’échiner. S’en saisir si elle passe ou savoir la provoquer : le pro de la politique qui voit disparaître tous ses soutiens à la faveur d’une vente ou d’une réorganisation devra faire avec une nouvelle gouvernance. Comme André Hercule de Fleury qui perdit et retrouva d’autres patrons avant de s’approcher et séduire le Roi Soleil.

S’inspirer de Netflix ?

Si la France a un passé qui repose sur de belles ascensions, les Etats-Unis, en revanche, semblent beaucoup plus intéressés par d’autres formes de progressions. Suivre l’exemple des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft) permet de sortir de ces mécanismes culturels qui entravent les capacités individuelles. Reed Hastings en a imaginé une nouvelle déclinaison avec le disruptif No Rules Rules : Netflix and the Culture of Reinvention paru en 2020 (La Règle ? Pas de règles ! Nextflix et la culture de la réinvention, version française parue en 2021 chez Buchet-Chastel). Accepter le désaccord est à l’opposé de la méthode du manager politique qui consent à chaque idée lors d’un Codir et qui perd sa place ou sa trajectoire enviée, s’il apporte une brique divergente. C’est pourtant la recommandation du cofondateur et directeur de Netflix : “La sincérité absolue plutôt que l’esquive.”

“J’avais l’impression que, même en France, on avait dépassé cette question d’être ‘politique’ dans l’univers des start-up. Mais je pense que cela existe encore”, indique Pierre Fournier, auteur de La Méthode Will. Roman de management (2023, autoédité). Plusieurs tendances continuent de cohabiter. C’est aux organisations d’agir si elles veulent “dépolitiser” la pyramide. Pour Reed Hastings, cela passe par l’acceptation des faiblesses, de l’échec comme des fulgurances géniales, un management fondé sur la liberté et la responsabilité. Cependant, pour que salariés et managers déconstruisent le système “politique”, il est impératif d’instaurer un climat de confiance. Est-ce la solution ? 93 % des salariés en France se disent aujourd’hui désengagés dans l’entreprise en France, 66 % aux Etats-Unis (Gallup, 2023). “La qualité des employés a plus d’importance que celles des procédures”, est un des credo de Mister Netflix. Louis XIV aurait peut-être acquiescé. Sa cour, assurément non.

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