“Masters of the Air” : les séries historiques influencent-elles notre vision du passé ?

“Masters of the Air” : les séries historiques influencent-elles notre vision du passé ?

Un spot publicitaire à 125 millions de dollars. Avec Masters of The Air, actuellement diffusée en France sur Apple TV+ et My Canal, l’armée américaine continue de raconter son épopée à travers la fiction historique. La série, produite par des maîtres du genre – Tom Hanks et Steven Spielberg, à l’origine aussi de Band of Brothers – raconte les exploits de la 8e Air Force américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. L’équipe n’a pas lésiné sur les moyens (comme sur les accents patriotes), faisant de Masters of The Air une série divertissante quoique très premier degré.

La production se fait fort de reconstituer une histoire vraie, non sans prendre quelques libertés : le courage des militaires n’a d’égal que leur plastique impeccable. Chaque soldat y est héroïque, intelligent – et pourrait figurer sur une couverture de magazine. C’est le lot des fictions : rendre l’histoire accessible se fait parfois au prix d’une prise de distance avec la réalité. Prenez Henri VIII dans Les Tudors : il est jeune, mince, sexy. Une image à rebours des représentations classiques. “Le parti pris de la série est d’en faire une “rock star” et donc de le faire répondre aux canons de beauté contemporains, explique Marjolaine Boutet, professeure en études anglophones à l’université Sorbonne Paris Nord, spécialiste des séries télévisées. L’enjeu est de fabriquer une interprétation de la réalité historique. C’est sur le sens de cette représentation, plus que sur les détails de la reconstitution, qu’il me paraît intéressant de s’attarder.”

“Pour avoir l’air authentique, les fictions renvoient à des clichés”

En mettant des visages sur des noms, les séries historiques donnent corps à une certaine vision du passé. Rien de neuf ici : “La peinture permettait déjà de répondre à notre besoin de représentation : on a tous en tête l’image du Christ avec une longue chevelure blonde, ce qui est impossible”, explique François Jost, professeur émérite à la Sorbonne nouvelle, sémiologue et directeur de la revue Télévision. Nos représentations collectives influencent ainsi l’imaginaire des séries. “Pour avoir l’air authentique, les fictions doivent renvoyer à des clichés qui ne sont pas toujours conformes aux dernières avancées de l’histoire en tant que science, poursuit Marjolaine Boutet. Pour que les téléspectateurs l’identifient rapidement, Vercingétorix doit avoir une moustache et les Vikings, les cheveux longs et partiellement rasés.”

Là où la thèse universitaire n’apporte que des éléments sourcés, la fiction doit répondre aux besoins du scénario : en imaginant des dialogues, une façon de marcher, une couleur de cheveux. Autant de créations qui ont un impact sur notre lecture historique. “Le danger serait de ne pas prendre de recul et d’oublier qu’il ne s’agit que de fiction, met en garde François Jost. Tant que l’on est capable de se documenter sur la période, c’est intéressant. Mais combien ne connaissent de Mozart que le film [NDLR : Amadeus, de Milos Forman] ? C’est insuffisant pour porter un regard critique.” Ces œuvres agacent d’ailleurs parfois en haut lieu. A la sortie de la saison 4 de The Crown, série sur la famille royale britannique, Oliver Dowden, alors secrétaire d’Etat à la Culture du Royaume-Uni, avait demandé à Netflix de rappeler en préambule que la série était bien une fiction, pas un documentaire. Une requête refusée par la plateforme.

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