“Midi contre Poutine” : la stratégie de l’opposition russe pour saper l’élection présidentielle

“Midi contre Poutine” : la stratégie de l’opposition russe pour saper l’élection présidentielle

Que faire face à la réélection de Vladimir Poutine, acquise d’avance ? Malgré son impuissance face au processus électoral contrôlé d’une main de fer par le Kremlin, l’opposition russe n’a pas dit son dernier mot. Les cercles de dissidents ont imaginé une action collective pour que les Russes puissent manifester leur colère et désaccord avec le régime : se rendre dans tous les bureaux de vote dimanche 17 mars (au troisième et dernier jour de l’élection présidentielle), à midi, et voter contre Poutine.

“Le but de l’action est de montrer à Poutine, aux élites, aux forces de sécurité, au monde entier, mais d’abord à nous-mêmes, que le tsar est seul ! précise le site Internet “Midi contre Poutine”, créé pour l’occasion – et bloqué en Russie depuis le début du mois de mars. Nous sommes plus nombreux et plus forts qu’il n’y paraît. Nous pouvons détruire l’illusion du soutien populaire à Poutine, surmonter le désespoir, trouver la force de résister davantage”.

Action coordonnée

Cette idée, c’est Maxim Reznik, ancien député de Saint-Pétersbourg, désormais en exil, qui l’a soufflée en premier. “J’ai émigré avec un seul objectif : combattre le fascisme de Poutine. […] J’ai longuement réfléchi à une méthode pour infliger un maximum de dégâts”, explique-t-il au média russe indépendant Kholod. Lui et ses collègues du mouvement “Petersbourg européen” se sont mis d’accord pour trouver une idée qui “conviendrait à tout le monde” – car appeler à voter pour tel ou tel candidat aurait contribué à diviser l’opposition et appeler à manifester aurait mis en danger les participants, immédiatement réprimés. “Vous n’avez peut-être pas de candidat pour qui voter, mais l’heure de midi existera toujours”, résume Maxim Reznik.

L’idée a été reprise par les grands cercles de l’opposition en exil : le “Comité antiguerre” de l’ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovsky, la fondation “Free Russia”, d’éminentes personnalités de l’opposition et même les candidats rejetés de l’élection présidentielle, Ekaterina Dountsova et Boris Nadejdine. Chacun a fait campagne sur ses réseaux sociaux pour donner rendez-vous aux électeurs devant les urnes ce 17 mars à midi, qu’ils soient en Russie ou en exil.

Le mouvement a pris une nouvelle ampleur lorsque Ioulïa Navalnaya, épouse de l’opposant Alexeï Navlany décédé en prison le 16 février, a relayé l’initiative dans une vidéo Youtube le 6 mars. “Nous pouvons utiliser ces prétendues “élections” contre Poutine pour parvenir à notre objectif […], montrer que nous existons et que nous sommes nombreux”, a-t-elle déclaré.

A la manière de manuels explicatifs, les médias d’opposition relaient leurs consignes aux votants : ils peuvent voter pour un autre candidat que Vladimir Poutine, cocher plusieurs cases de candidats afin que le vote soit annulé, déchirer le bulletin de vote ou écrire le nom d’une personne non-candidate. Beaucoup prévoient ainsi d’inscrire le nom d’Alexeï Navalny. Mais surtout, il leur est suggéré de prendre des vidéos et photos de leur acte et les partager au maximum : car c’est l’impact médiatique de l’action qui se joue le 17 mars.

Fraudes massives

Tous appellent les électeurs à ne pas s’inscrire au vote électronique à distance, permis pour la première fois lors d’une élection présidentielle dans 29 régions de Russie, y compris dans la capitale, Moscou. Une logistique “qui permet des fraudes massives”, selon un rapport de l’organisation de surveillance électorale Golos, car “il n’existe aucune garantie de surveillance des votes électroniques à distance, ni de liberté de vote”.

Comme à chaque élection, des citoyens voteront sous la pression de leur employeur ou des autorités, et particulièrement les fonctionnaires de l’Etat, appelés “budgetniki”. Ceux-ci sont souvent contraints d’envoyer une photo de leur bulletin avec la bonne case cochée (celle du président) à leur employeur, sous peine de sanctions au travail, voire de licenciement. Leur présence devant les bureaux de votes à midi, le 17 mars, sera peut-être leur seul exutoire.

Selon un journaliste bien informé du média indépendant russe Meduza, “le Kremlin est convaincu que cette action n’aura pas d’impact notable sur le principal résultat des élections et le score de Poutine”. Mais ce jeudi 14 mars, à la veille du début du scrutin, les autorités moscovites ont interdit les manifestations “Midi contre Poutine”, qualifiant les futurs rassemblements… “d’actes illégaux en préparation contenant des signes d’activités extrémistes” ! De son côté, Maria Andreeva, une militante pour le retour des soldats russes mobilisés en Ukraine qui avait repartagé le rendez-vous du 17 mars à 12 heures, a reçu un avertissement du bureau du procureur du district nord-ouest de Moscou. Preuve qu’en Russie, le pouvoir semble plus fébrile qu’il ne veut le dire.

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