Muselier et les “Parisiens” : à l’IHU Méditerranée, les coulisses d’un difficile renouvellement

Muselier et les “Parisiens” : à l’IHU Méditerranée, les coulisses d’un difficile renouvellement

Mais qu’est-il venu faire dans cette galère ? Chercheur de haut vol, président du Paris Saclay Cancer Cluster, cofondateur de la biotech Innate pharma, professeur à l’X, directeur de deux laboratoires académiques, Eric Vivier devait également être nommé ce jeudi 11 avril à la présidence du conseil scientifique de l’IHU Méditerranée, le paquebot construit puis fracassé par Didier Raoult, que quelques-uns tentent aujourd’hui de reconstruire. Déjà membre de cette instance depuis environ un an, l’immunologue avait même été choisi à l’unanimité par ses confrères pour en prendre la tête. “Eric Vivier incarne l’excellence scientifique, et le renouveau par rapport à l’ère Raoult. Cette nomination, c’est la suite logique de tout ce qui a déjà été entrepris jusqu’ici”, nous indiquait aussi, quelques jours avant l’élection, un des administrateurs de l’Institut. Las… c’était oublier le poids de l’écosystème politico-scientifique marseillais, mais également les vieilles rivalités avec la capitale.

Le jour dit, la réunion du conseil d’administration ne s’est pas déroulée du tout comme prévu. Renaud Muselier, le président de la Région et soutien historique de Didier Raoult, avec qui il est ami depuis la fac de médecine, a bloqué le processus, selon les informations du quotidien régional La Provence que L’Express a pu confirmer. L’élu Renaissance n’assistait plus depuis plusieurs mois à ces rendez-vous, s’y faisant représenter. Mais ce jeudi, il est venu en personne et a tétanisé l’assemblée avec un de ces coups de colère dont il a le secret, s’opposant à cette nomination ainsi qu’à l’entrée de deux membres supplémentaires au conseil scientifique de l’Institut, la Pr Diane Descamps, cheffe du service de virologie à l’hôpital Bichat (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) et Aude Bernheim, chercheuse à l’Institut Pasteur. Motif ? Le refus de voir s’installer à l’IHU un “aréopage de Parisiens” (sic).

Un énième soubresaut dans l’histoire tourmentée de l’Institut hospitalo-universitaire, qui en dit long à la fois sur les difficultés à mener des réformes dans notre pays, et à refermer l’ère Raoult à Marseille. Dans les épisodes précédents, on avait noté le départ du sulfureux professeur de la direction de l’Institut ; l’arrivée d’une nouvelle équipe à la tête du conseil d’administration, avec Emmanuelle Prada-Bordenave comme présidente et Louis Schweitzer comme vice-président ; la nomination d’un nouveau directeur, Pierre-Edouard Fournier, un ancien de la maison, adoubé par Didier Raoult mais qui s’est engagé à rompre avec les pratiques de l’ancienne direction ; et enfin un début de toilettage de l’organigramme avec, dernier acte en date, le retrait de sa chefferie de service à Philippe Parola, fidèle d’entre les fidèles du célèbre microbiologiste.

Faire entrer de l’immunologie à l’IHU

“L’IHU n’avait vraiment pas besoin d’une nouvelle polémique“, soupire un bon connaisseur de cet organisme, fondé, faut-il le rappeler, pour faire rayonner la science française en général, et l’infectiologie en particulier, à l’international. L’intervention de Renaud Muselier apparaît d’autant plus anachronique que ces trois nominations visaient justement à contribuer à normaliser un peu plus le fonctionnement de l’IHU. Dans les structures de recherche, les conseils scientifiques sont en effet rarement composés de chercheurs du cru. Au contraire, il s’agit généralement d’attirer des personnalités reconnues pour leurs compétences, au niveau national et international. Les particularités locales étant ce qu’elles sont, la nomination d’Eric Vivier, scientifique parmi les plus cités au monde mais aussi Marseillais depuis 31 ans, ancien directeur du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy, semblait à beaucoup un compromis idéal.

Dans le cadre de la reconstruction de l’Institut, il s’agissait aussi d’y faire entrer de l’immunologie. Si l’IHU possède des capacités quasiment uniques au monde en matière de “culturomic” et de génomique, autrement dit d’identification et d’analyse des microbes, il ne s’intéressait jusqu’ici pas du tout à l’étude de l’immunité. “Or aujourd’hui, un institut de microbiologie ne se conçoit plus sans capacité à analyser les relations entre l’hôte et les pathogènes”, souligne Eric Vivier, dont les compétences devaient notamment faciliter les recrutements. Un challenge : “Il y a un vrai déficit de réputation, poursuit le chercheur. Il faut redonner envie en s’appuyant sur les atouts de l’institut : un cadre de travail au top, les collections de microbes, les salles blanches pour manipuler les pathogènes, les patients sur place et des scientifiques de haut niveau, à l’instar du virologue Xavier de Lamballerie”.

Développer des complémentarités

Il s’agissait aussi de faciliter les relations entre l’IHU, le Marseille immunology biocluster (le MIB bâti sur les fondations de Marseille immunopole, cofondé par Eric Vivier) et le Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC), présidé depuis 2022 par ce même scientifique. Nouvellement créées, ces deux entités rassemblent académiques et industriels à l’échelle de leurs territoires, avec pour objectif de contribuer à la réindustrialisation du pays. “Développer les complémentarités entre ces différents organismes nous paraissait une excellente perspective, il est essentiel que l’IHU sorte enfin de sa tour d’ivoire et collabore avec les autres structures locales et nationales”, souligne un administrateur de l’IHU. Sauf qu’à Marseille, visiblement, tout le monde n’était pas de cet avis. Car un paramètre important n’a pas été pris en compte : la nomination de Vivier à la tête du PSCC, qui a visiblement été vécue par beaucoup, au bord de la Méditerranée, comme une trahison – quand bien même ses laboratoires, sa société de biotechnologie et sa famille restent ancrés localement.

“Nous nous sommes battus pour avoir un biocluster à Marseille. Des chercheurs trouvaient qu’il fallait protéger l’écosystème local et insistaient sur le risque de conflit d’intérêts avec quelqu’un qui était à la fois à Paris et à Marseille”, résume un membre du conseil d’administration proche de Renaud Muselier, prié de décrocher son téléphone pour appuyer auprès de l’Express la position du président de la région. A quoi se sont ajoutées, de sources concordantes, des questions de personnes. “C’est malheureusement un classique dans la recherche médicale française, où les scientifiques sont mis en permanence en compétition pour les postes, les financements, les projets. Comment voulez-vous ensuite leur demander de collaborer, même si c’est dans l’intérêt du pays ?”, confirme un autre administrateur.

L’enjeu était visiblement si important que Renaud Muselier n’a par ailleurs pas hésité à mettre dans la balance les aides financières apportées à l’Institut. En effet, si son administration ne verse pas de subventions directes, elle collecte et attribue l’argent du Feder (fonds européen de développement régional) – sept millions d’euros pour la période 2021-2027, avec des versements échelonnés dans le temps. De quoi achever de convaincre les membres du conseil d’administration de repousser toute décision à une prochaine réunion, en juin probablement. “C’est regrettable car cela montre à quel point le microcosme marseillais, où tout le monde se tient par la barbichette, est dysfonctionnel : un président de région tout puissant peut décider seul de ce qu’il fait de ses subsides”, déplore un observateur. Et maintenant ? Les administrateurs contactés par l’Express, un brin sonnés, temporisent et attendent de “laisser retomber la poussière”. “L’IHU n’est qu’une activité parmi d’autres, totalement bénévole qui plus est. Je reste au conseil scientifique, et motivé pour apporter l’aide que l’on me demandera”, assure de son côté Eric Vivier.

Clochemerlesque ? Sans nul doute, mais c’est tout le problème. “Ce n’est pas bon pour la réputation de l’IHU. Ça le ramène à un objet de politique locale, ce qui a déjà trop été le cas à l’époque de Raoult. C’est une bien triste histoire”, soupire un des administrateurs, dépité. D’autant qu’en interne, tout n’est pas réglé, tant s’en faut. Le maintien à leurs postes de cadres ayant appartenu à la garde rapprochée du microbiologiste suscite notamment des interrogations. “Les changements ont vocation à continuer”, tranche un autre responsable. La suite au prochain épisode.

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