“Nos armes”, le roman noir de Marion Brunet qui revisite “Thelma et Louise”

“Nos armes”, le roman noir de Marion Brunet qui revisite “Thelma et Louise”

On avait croisé et aimé Marion Brunet pour L’Eté circulaire, grand prix de littérature policière 2018, puis deux ans après avec Vanda. L’impatience était grande de la retrouver avec Nos armes, publié chez Albin Michel. Non sans une toute petite crainte : n’y avait-il pas un risque de déception dans cette histoire de braquage raté et de retrouvailles de deux amies vingt-cinq ans plus tard ? C’était oublier que la romancière marseillaise n’est pas du genre à céder à la facilité. Ni dans son écriture, qui dit si bien la nuance des sentiments, ni dans son univers où chaque détail est pesé. Son récit, que l’on pourrait croire tracé, ose avec bonheur les chemins de traverse. Avec Nicolas Mathieu, elle partage une même capacité à saisir la société. Mais si le Prix Goncourt 2018 s’ancre à Epinal et dans le monde du travail, Marion Brunet nimbe ses romans de la chaleur du Sud et s’attache aux précaires, aux marginaux.

Nos armes est un roman des années 1990. Axelle et Mano sont à peine majeures. La première juge ses parents trop étroits, son père policier impose son autorité, sa mère, soumise, a vite renoncé à ses maigres tentatives d’émancipation. La seconde est issue d’une famille banale, si banale qu’elle s’en éloigne pour avoir la sensation de vivre. L’histoire d’Axelle et de Mano est aussi celle de leur bande qui se retrouve dans des squats, se bagarre avec les “fafs” à la sortie d’un cinéma et décide de braquer le Crédit municipal. Tragique idée. Un policier est tué, Axelle tombe pour vingt-cinq ans, Mano s’en sort mais ne cesse de l’attendre. Jusqu’au jour où une femme se présente dans le village où elle habite.

Avec sa construction éclatée, usant du “je” et du “tu”, puis d’un narrateur extérieur, jonglant d’une époque à l’autre, d’une fille à l’autre, Marion Brunet nous propose bien plus qu’un roman social. Certes, elle raconte un univers qui bascule, les illusions perdues et les dérives sanglantes de gamins qui, dans les années 1990, voulaient changer le monde, ont cru pouvoir le faire et y ont laissé leur jeunesse. Aucun nom, aucune indication géographique ne sont donnés, mais à lire certains passages consacrés au procès d’Axelle, on pense à Florence Rey et Audry Maupin qui, en 1994, avaient braqué la préfourrière de Pantin.

Marion Brunet a le talent de dire l’époque. Il y a la musique, les grands combats, de Gênes en 2001 à Notre-Dame-des-Landes. On passe de la violence politique contre des personnalités aux revendications altermondialistes. Qui se souvient encore, qu’alors, on descendait dans la rue pour dénoncer la venue en France de Silvio Berlusconi et la complaisance du gouvernement français à son égard ? Son évocation de la prison puise au plus près du réel. “Tu me serviras un de ces thés au goût étrange. Je n’en aimerai aucun. La Ricoré sur ma langue a tué tout autre possible, tes eaux chaudes me laisseront cette sensation d’être, pour toujours, une taularde”, dit Axelle en imaginant sa sortie.

Du roman noir plein de nuances

La force de la romancière est de ne pas sacrifier ses héroïnes au message qu’elle veut transmettre. Sa langue vivante, orale explore, fouille les détails pour raconter les failles qui rendent les êtres, les femmes en particulier, fragiles. Elle ne se contente pas du blanc ou noir, mais laisse à chacune sa part de nuance et de contradiction. Après la visite de son grand-père en prison, le seul membre de sa famille qui l’accepte encore, Axelle s’autorise enfin à pleurer : “J’ai tenu en regardant sa silhouette brisée quitter le parloir à petits pas […] Alors j’ai chialé comme la gosse que j’étais.” Mais à la page suivante, à nouveau, elle se fait dure, face à son avocat qui lui demande de dire un mot sur ce policier qu’elle a tué : “Il m’a fallu des mois pour remettre en question mon geste”, avoue-t-elle.

Marion Brunet, connue pour ses romans destinés à la jeunesse, avait déjà exploré ces femmes fragiles dans ses précédents récits pour adultes. Dans L’Eté circulaire, elle racontait le destin de deux sœurs de 15 et 16 ans qui traînaient leur ennui de leur lotissement sans âme en fête foraine jusqu’à l’explosion de leur famille. Vanda, elle, vivait dans un cabanon sur la plage de Marseille avec son fils. Conditions précaires, mais amour extrême jusqu’à l’apparition du père biologique de l’enfant qui fait l’effet d’une déflagration. En quelques lignes, quelques pages, les romans de Marion Brunet passent du noir à la lumière la plus vive et retour. Pas du polar pur et dur, mais quelque part entre Sans toit ni loi d’Agnès Varda et Thelma et Louise de Ridley Scott.

Nos armes, par Marion Brunet, Albin Michel, 384 p., 20,90 €.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *