Objectifs climatiques : l’UE est-elle allée trop vite ?

Objectifs climatiques : l’UE est-elle allée trop vite ?

La question est cruciale. L’Union européenne doit-elle garder le même rythme en matière de politique environnementale, au risque de s’essouffler ? Engagés à atteindre la neutralité carbone en 2050, les Etats membres doivent déjà abaisser de 55 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Il s’agit désormais de fixer le cap intermédiaire, d’ici 2040. En juin dernier, le Conseil scientifique consultatif sur le climat, organe créé par l’UE sur le même modèle que le Haut conseil pour le climat en France, préconisait une réduction “de 90 à 95 %” des émissions de CO2 de l’UE.

Les conditions à réunir sont nombreuses : une production d’électricité quasiment nulle en CO2, une baisse de près de la moitié des importations de pétrole, une meilleure efficience énergétique, voire une limitation du nombre d’animaux d’élevage. “Quand on décortique l’objectif, cela revient à maintenir le rythme des efforts dans le temps”, décrypte Pascal Canfin, le président (Renew) de la commission Environnement au Parlement européen.

Tension politique

Cela sera-t-il seulement possible ? Pour le moment, les 27 sont à la traîne. La Commission menée par Ursula Von der Leyer s’est lancée dans le Pacte vert, un vaste plan qui a vu naître d’importantes régulations comme la fin des ventes de véhicules thermiques en 2035, la transformation de l’industrie, ou la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières… La réussite de cet objectif dépendra donc des déclinaisons de ce plan par les Etats. Mais selon une publication de la Commission mi-décembre, les dispositions d’ores et déjà prises par les Etats ne devraient permettre qu’une baisse de 51 % de leurs émissions d’ici 2030, soit 5 points de moins que l’objectif initial. “La capacité à atteindre les objectifs en 2040 sera conditionnée à ceux de 2030, et pour le moment il faut nous mettre en conformité avec ceux-là”, note Nicolas Berghmans, expert énergie-climat sur l’Europe à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

Cette mise à niveau sera d’autant plus nécessaire que durant la prochaine décennie, de nombreux textes phares devront être revus. “On va devoir rénover une partie du parc immobilier, faire évoluer la réglementation pour laisser place à une économie plus circulaire, ou revoir le marché du carbone”, souligne Camille Defard, cheffe du centre énergie à l’Institut Jacques Delors. Mais déjà, la lassitude guette. Ces derniers mois, plusieurs responsables politiques se sont montrés réticents à la multiplication de ces nouvelles taxes ou normes. En mai dernier, Emmanuel Macron avait surpris, en réclamant même une “une pause réglementaire européenne”, au nom de la compétitivité.

Plus que l’ambition des institutions, c’est donc la tension politique qui s’est installée ces derniers mois qui menace. Dans la dernière ligne droite de son mandat, Ursula Von der Leyen a vu les dernières dispositions de son Green Deal rejetées par la droite. Le volet agricole de son plan, le vaste dossier “Farm to fork” (de la ferme à l’assiette en bon Français), n’avance plus. Fin novembre le règlement sur la réduction de l’usage des pesticides a été rejeté au Parlement, et l’évolution de la législation sur les emballages a été largement réécrite par les eurodéputés. A la manœuvre, notamment, l’extrême droite européenne mais aussi le Parti populaire européen (PPE), de centre-droit, qui s’est appliqué à défendre les agriculteurs très opposés à ces réformes.

Des élections européennes cruciales

L’Union Européenne serait-elle allée trop vite sur les réformes environnementales ? “C’est devenu un sujet de clivage politique. Certains appellent à faire cette transition assez vite et d’autres estiment qu’il faut la ralentir, parce que les acteurs de terrain n’arrivent pas à suivre. Beaucoup d’interrogations portent sur la manière de faire au sein de chaque secteur”, note Nicolas Berghmans.

La Commission européenne dévoilera le 6 février prochain ses résultats sur la trajectoire retenue. Elle devrait sans surprise suivre les recommandations du Conseil scientifique et acter l’objectif de 90 % de baisse d’ici à 2040. Mais la réussite de la trajectoire de décarbonation sera surtout déterminée par les élections européennes du mois de juin. Les derniers sondages laissaient entrevoir un Parlement plus marqué à droite. “Ces élections sont cruciales pour la poursuite du Pacte vert, en fonction de la composition du Parlement on va se donner les moyens ou non d’atteindre ces objectifs”, ajoute Camille Defard.

Pour dépasser les clivages pro et anti-écologie, les responsables politiques devront parvenir à convaincre les citoyens européens des atouts de cette transition. “Il faudra réussir à instaurer un narratif alternatif pour le futur Pacte vert afin de renouer avec la confiance, car on perçoit très nettement une inquiétude par rapport au manque d’accompagnement de cette transition”, assure la spécialiste de l’Institut Jacques Delors. “Il faut marcher sur deux jambes, l’ambition climatique d’un côté et, de l’autre, s’assurer que nos entreprises restent compétitives et que la transition soit équitable”, reconnaissait d’ailleurs ce lundi Wopke Hoekstra, le commissaire européen chargé du Climat. Les têtes de liste qui l’appellent de leurs vœux devront donc convaincre les citoyens européens non seulement des atouts de cette transition, mais aussi de son rythme. Une gageure, tant il faudra trouver de la pédagogie sur ce sujet technique.

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