Pascal Canfin : “S’attaquer au Pacte vert, c’est faire le jeu de la Russie et des Etats-Unis”

Pascal Canfin : “S’attaquer au Pacte vert, c’est faire le jeu de la Russie et des Etats-Unis”

Président de la commission de l’Environnement, de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire du Parlement européen, Pascal Canfin réfute l’idée d’un Pacte vert décroissant. Pour lui, l’Europe fait preuve de cohérence lorsqu’elle s’oppose au Mercosur ou qu’elle instaure des quotas sur les poulets ukrainiens. Et ne lui parlez pas de ceux qui prédisent l’échec de la stratégie “farm to fork”. Leurs discours reposent sur des études peu sérieuses qui ne reflètent pas du tout la réalité. Ambiance.

L’Express : Comment jugez-vous la réponse apportée par le gouvernement français à la crise agricole ?

Pascal Canfin : Le point essentiel, c’est de faire respecter un meilleur partage de la valeur. Tant que nous n’obtiendrons pas cela, les revenus des paysans resteront insuffisants et la transition écologique ne pourra pas suivre. Quand Lactalis demande aux agriculteurs de baisser le prix du lait sans pour autant bouger ses marges, nous sommes bien dans un système de pur rapport de force. Il nous faut changer cela. D’où la loi Egalim. Pour l’instant, celle-ci reste contournée par certaines centrales d’achats. Elle n’est pas appliquée dans sa totalité. À l’occasion du prochain mandat qui démarre en juin après les élections, nous porterons donc une forme de loi Egalim européenne afin de mieux organiser le partage de la valeur au niveau du continent. Car la problématique évoquée ici est la même en France que dans les autres pays. Notre philosophie sera également de mettre sous la contrainte climat et biodiversité les distributeurs et les transformateurs. Et pas seulement les agriculteurs.

Certains craignent pourtant que le Pacte vert ne soit en danger. Surtout si les élections du mois de juin modifient les équilibres politiques.

Le Pacte vert continuera d’avancer parce que les citoyens européens nous demandent de lutter contre le dérèglement climatique mais aussi parce que c’est notre intérêt géopolitique et économique. Nous venons de trouver un accord, même avec la droite, sur le déploiement des technologies zéro carbone en Europe afin de contrer les effets de l’Inflation Reduction Act (IRA) américain. Nous allons autoriser le déploiement de nouvelles techniques génomiques afin de donner de nouvelles solutions aux agriculteurs. Dans quelques jours, nous devrions obtenir un accord sur le stockage de carbone dans les sols, ce qui devrait donner des perspectives de revenus supplémentaires aux agriculteurs.

Certes, il reste des blocages. Mais beaucoup de choses avancent. Pas par idéologie, mais parce qu’il y va de nos intérêts. En 2022, la France a dépensé 110 milliards d’euros pour acheter du pétrole et du gaz. C’est presque cinq points de PIB ! S’opposer au Pacte vert comme le fait l’extrême droite cela veut dire continuer à nous rendre dépendant des puissances fossiles. Voilà la réalité. Notre dépendance aux hydrocarbures russes nous a déjà explosé à la figure. Mais demain, si Donald Trump revient à la Maison-Blanche, que va-t-il se passer ? Notre dépendance au gaz de schiste américain va-t-elle devenir notre nouveau talon d’Achille ? Et puis, il y a aussi les ressources fossiles que nous allons chercher au Qatar et en Arabie saoudite. Est-ce cela que l’on veut demain pour notre souveraineté ? Etre dépendant de Vladimir Poutine, Donald Trump ou des régimes islamistes du Golfe ? Ce n’est pas notre vision.

En théorie, il faudrait taxer davantage les produits carbonés. Mais la mise en application de ce genre de mesures reste difficile. On l’a vu récemment avec le gazole non-routier. Que faire ?

Un tel mécanisme fonctionne quand il existe des alternatives. Dans le cas du gazole non routier pour les agriculteurs, il n’y en avait pas. A l’inverse, les industriels européens acceptent un prix du carbone relativement élevé (environ 80 euros la tonne). Pourquoi ? Parce qu’ils peuvent choisir entre plusieurs sources d’énergie et qu’il est rationnel pour eux d’avoir un prix du carbone renchérissant le coût des technologies “brunes” tout en favorisant la rentabilité des investissements verts.

On peut voir le même mécanisme à l’oeuvre dans l’automobile. Si nous avons adopté de nouvelles règles du jeu sur les voitures zéro émission, c’est précisément parce que depuis 10 ans, nos constructeurs investissent dans la voiture électrique. Sans doute pas assez puisque la Chine mène la danse dans ce domaine et c’est pour cela que nous sommes en train d’accélérer massivement et de créer des dizaines de milliers d’emplois dans cette filière. Mais regardez le succès du leasing social en France. 100 000 personnes se sont manifestées en 3 semaines pour bénéficier d’un véhicule électrique à 100 euros par mois. Cela a largement dépassé les attentes du gouvernement. Et cela montre que la bascule vers un monde décarboné est vraiment possible en employant la bonne méthode.

La souveraineté alimentaire est-elle, en revanche, un doux rêve pour l’Europe et la France ?

Essayons déjà de la définir. Prenons un élevage intensif de porcs ou de poulets situé sur le territoire français. D’où vient l’alimentation pour ces animaux ? Du Brésil ? D’Argentine ? Ce n’est pas ce que j’appellerai de la souveraineté. De même, quand vous avez des céréales conventionnelles dans la Beauce dont les rendements sont assurés par des engrais azotés, il faut bien voir que ces derniers sont produits à partir de phosphate marocain et de gaz venant d’Algérie ou du Qatar. En quoi est-ce souverain ? Entendons-nous bien. Je suis favorable à ce que l’on inscrive l’objectif de souveraineté alimentaire dans les lois françaises et européennes. Mais en soulevant le capot, on va découvrir que parmi ceux qui défendent cette notion bec et ongles, certains ont de mauvaises pratiques. Je suis convaincu que le Pacte vert va dans le sens de la souveraineté alimentaire que nous recherchons.

La stratégie européenne en matière d’agriculture ne conduirait pourtant qu’à une baisse de la production, une hausse des importations et un renchérissement des prix, si on en croit plusieurs études récentes. Qu’en pensez-vous ?

Ces études ne sont absolument pas fiables. Elles ne tiennent pas compte de tout ce que l’Europe entreprend. Par exemple, mentionnent-elles les nouvelles techniques génomiques ? Non. Evoquent-elles la simplification des autorisations pour le biocontrôle, c’est-à-dire les alternatives aux produits phytosanitaires conventionnels ? Non plus. Ces travaux partent tous de la même hypothèse, selon laquelle l’Europe ne fait rien à part réduire l’usage des pesticides. Sans surprise, elles concluent à une baisse de la production. Mais franchement, ce genre de déduction, je peux aussi vous la faire sur un coin de table. En vérité, le Pacte vert n’a rien d’une politique décroissante. Le statu quo le serait bien davantage. Demandez aujourd’hui à n’importe quel agriculteur quel est le risque numéro un pour ses rendements. Il vous répondra invariablement : les conséquences du changement climatique ! Regardez ce qui se passe autour de nous. En Italie, la production du riz diminue fortement. En Espagne, celle de l’huile d’olive s’effondre aussi en raison du manque d’eau. On pourrait multiplier les exemples. Faire l’autruche dans ces conditions conduira pour de vrai à des baisses de production.

Ne rien faire serait donc extrêmement pénalisant. Mais qu’en est-il des revirements de la France sur les quotas ukrainiens ou le Mercosur ?

Concernant l’Ukraine, nous avons fait preuve de cohérence. Dans un premier temps, par solidarité, nous avons changé les règles du jeu pour permettre à ce pays d’écouler sa production dans un contexte de guerre. Deux ans plus tard, on a regardé les conséquences et constaté qu’elles ne seraient pas soutenables dans la durée, notamment pour le secteur des volailles. Donc nous avons ajusté les règles en réinstaurant des quotas sur une partie de la production. Il ne s’agit pas d’un changement de cap. Nous continuons évidemment à soutenir l’Ukraine, qui défend nos valeurs et dont la victoire est indispensable face à l’agression russe. Mais notre responsabilité c’est d’arbitrer dans des moments complexes et trouver le bon compromis. C’est ce que l’on a fait.

Sur le Mercosur, il n’y a pas eu non plus de revirement. Depuis 2019, nous sommes opposés à l’accord avec le Mercosur en l’état. Compte tenu de la puissance agricole de l’Argentine et du Brésil, les conséquences seraient trop déstabilisantes pour le marché européen. Nous ne soutenons donc pas cet accord. Il ne s’agit pas d’idéologie mais simplement de regarder si cela est conforme à nos intérêts. Nous sommes d’ailleurs favorables à l’accord commercial avec le Chili, qui sera soumis au vote du Parlement européen dans quelques semaines car des échanges avec ce pays producteur de lithium nous rendraient moins dépendant de la Chine dans l’accès aux matières premières de la transition écologique.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *