Patrons, tenez-vous prêts : l’IA va bouleverser les hiérarchies

Patrons, tenez-vous prêts : l’IA va bouleverser les hiérarchies

Quand la vague de l’IA générative a déferlé, les prédictions les plus folles ont surgi quant à ses conséquences sur l’emploi. Des centaines de millions de postes étaient prétendument à risque. La poussière retombe désormais : les entreprises apprennent à évaluer ces outils, alors que débute une consolidation parmi les start-up opérant dans ce secteur, comme en témoigne l’acquisition bradée d’Inflection AI par Microsoft. Logiquement, des analyses plus raisonnables commencent à émerger.

Le World Economic Forum a ainsi estimé que l’IA générative aurait un impact net positif sur les emplois conduisant à la disparition de 85 millions d’entre eux d’ici à 2025 mais à la création de 97 millions de postes. Ces chiffres, sur un intervalle aussi court, semblent irréalistes pour qui connaît le temps des décisions de recrutement des entreprises, mais l’essentiel n’est pas là. L’analyse quantitative, très médiatisée, ne rend pas compte de la puissance de la transformation interne apportée par ces technologies.

Car c’est bien la façon dont l’IA va recomposer les relations au sein des organisations, et de facto les organisations elles-mêmes qui est intéressante. Pour commencer, ces outils sont très coûteux, du fait de la puissance de calcul qu’ils consomment. Le tarif pour Copilot de Microsoft est de 28 euros par mois, à comparer aux 6 euros environ de l’abonnement à Office 365. Un débat féroce a actuellement cours entre les directions des ressources humaines et les directions financières du CAC 40 pour déterminer quels grades d’employés doivent y avoir accès. Cette question est exacerbée par l’interdiction ou la non-prise en charge de ces outils à titre professionnel, alors que des salariés les utilisent à titre personnel.

Des salariés plus autonomes grâce à l’IA

Passons outre la barrière du prix, qui devrait s’abaisser au fur et à mesure de l’optimisation et de la diffusion des modèles open source. L’intelligence artificielle générative donne aux individus de l’autonomie sur des tâches auparavant réservées à des fonctions centrales, comme la production de contenus marketing. Elle va probablement accroître le sentiment d’indépendance, en particulier dans des organisations souples qui ont recours à des travailleurs extérieurs, comme les réseaux de mandataires immobiliers. La tentation risque d’être grande pour ces derniers de reprendre la main sur la communication, par exemple en modifiant la charte graphique ou en effaçant le logo du siège sur les documents de présentation.

Des personnes ayant une expertise pointue – dans la vente, la technique…- mais dont la maîtrise du langage et de l’échange avec autrui était jusqu’à présent limitée pourront également combler ces lacunes grâce à l’intelligence artificielle. En outre, l’accès à la connaissance que l’IA permet rebat les cartes pour les experts qui n’étaient pas directement impliqués dans les tâches de production, mais étaient rémunérés pour transmettre des savoirs spécifiques. Pourquoi solliciter le petit génie de l’informatique alors que je n’ai qu’à poser la question en langage naturel pour réaliser une interconnexion complexe entre Excel et un autre outil ?

L’accès à la donnée risque, enfin, d’être bouleversé. Parce qu’il est difficile de mettre en place des restrictions fines, l’arbitrage va devenir simple : soit on bloque tout, soit on donne accès à tout, en élargissant massivement le nombre d’informations partagées. Les professionnels dont la force résidait dans leur connaissance des outils de gestion pour aller chercher tel ou tel chiffre vont ainsi voir leur utilité contestée.

Cette horizontalisation accélérera la remise en question de la hiérarchie. Avec un accès élargi à des données qui autrefois ne leur étaient communiquées que sur demande formelle, des employés qui n’avaient guère voix au chapitre pourront davantage questionner les décisions prises par leur manager, voire les prendre eux-mêmes. Les nouveaux modèles de langage étendus (LLM) sont multilingues et capables d’appréhender l’oral. Nul besoin d’être un spécialiste du prompt, une simple formation d’une heure suffit pour apprendre à utiliser efficacement ces outils. Patrons, soyez prêts pour la révolution de l’intelligence artificielle : elle n’est pas celle que vous croyez.

* Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

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