Présidentielle au Sénégal : la sortie ratée de Macky Sall

Présidentielle au Sénégal : la sortie ratée de Macky Sall

Le président Macky Sall s’apprête à quitter le pouvoir sans la moindre autocritique, alors les électeurs du Sénégal (17 millions d’habitants) se rendent aux urnes ce dimanche. “Je n’ai pas d’excuse à présenter”, a-t-il déclaré à la BBC à quelques jours du premier tour de la présidentielle du 24 mars, en faisant le bilan de ses douze années passées à la tête de son pays d’Afrique de l’ouest. Le chef de l’Etat se dit “vraiment étonné, et même meurtri par les jugements de valeur” faits sur sa personne. Le 3 février dernier, dix heures seulement avant le début de la campagne présidentielle, c’est pourtant lui qui a annulé l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février. La crise politique qui s’ensuivit, avec des manifestations durement réprimées, s’est soldée par plusieurs morts. Mais finalement, les institutions sénégalaises ont tenu bon. Et le scrutin n’aura été reporté que d’un mois, selon la volonté du Conseil constitutionnel.

Accusé de vouloir se maintenir au pouvoir, Macky Sall, jugé “consensuel” lors de son arrivée au pouvoir en 2012, voit son image ternie. Et la démocratie sénégalaise paraît une nouvelle fois fragilisée. Après avoir (beaucoup) inquiété, au-delà même des frontières du Sénégal, en laissant planer la possibilité de se présenter pour un troisième mandat, Macky Sall a déçu. “Et cela, d’autant plus qu’il fut un des ténors des luttes démocratiques au Sénégal sous la présidence d’Abdoulaye Wade”, regrette Abdou Latif Coulibaly, ministre démissionnaire. L’ancien maire de Saint-Louis Cheikh Bamba Dièye se souvient ainsi du Macky Sall “de la grande époque” : “En 2012, nous manifestions côte à côte pour protester contre le troisième mandat d’Abdoulaye Wade au nom du respect de la Constitution, au nom de la démocratie.”

D’abord Premier ministre, puis président de l’Assemblée nationale, Macky Sall, devenu dissident, comptait parmi les fers de lance de la contestation au président Wade. A l’époque, les manifestations, interdites par le pouvoir, sont violemment réprimées et – déjà – se soldent par une dizaine de morts. “Quand il y avait des blessés, c’est Macky Sall qui les amenait à bout de bras aux urgences”, se remémore le docteur Babacar Niang qui dirige la clinique Suma assistance, à Dakar. “Tout ce que fait l’opposition aujourd’hui, Macky l’a fait, en étant dans la même posture”, ajoute-t-il.

“Au départ, c’est un personnage sympathique”

Répudié par le président Abdoulaye Wade (2000-2012) pour avoir accusé son fils Karim Wade – surnommé “Monsieur 10 %” – de corruption, Macky Sall, qui entend renouveler les pratiques politiques, suscite un nouvel espoir à partir de 2012. Né un an après l’indépendance du Sénégal, cet ingénieur géologue formé au Sénégal représente alors un nouveau souffle. En campagne, Macky Sall fait trois fois le tour du Sénégal, à la rencontre des citadins non Dakarois et des Sénégalais du monde rural. “Son discours et ses actes étaient novateurs”, souligne Alioune Tine, fondateur du think tank Afrikajom. “Au départ, c’est un personnage sympathique, avec de l’ambition pour son pays”, abonde l’ancienne Première ministre Aminata Touré, aujourd’hui dans l’opposition.

Des partisans de l’opposant Ousmane Sonko et du candidat à la présidentielle Bassirou Diomaye Faye, fêtent leur libération, le 15 mars 2024 à Dakar, au Sénégal

Douze ans plus tard, certaines réalisations sont nées de ses promesses, surtout sur le plan économique. La croissance du pays est passée de 2,9 % en moyenne sur la période 2005-2011 à 5,3 % entre 2012 et 2023. Celui qui se fait appeler le “bâtisseur” peut se targuer d’avoir construit un nouveau pôle économique à Diamniadio relié à Dakar par un train express régional, des stades de foot, et développé le réseau routier et électrique. “On ne m’attaque pas sur mon bilan économique”, remarque régulièrement le président devant la presse.

“Il a su porter la voix du Sénégal”

Macky Sall s’impose aussi sur le plan international. L’une de ses réussites diplomatiques : l’entrée de l’Union africaine dans le G20. “Il a su porter la voix du Sénégal et de l’Afrique sur des questions cruciales, comme l’accès à l’eau ou encore l’importation de céréales en pleine guerre en Ukraine”, juge l’ancien diplomate à l’Unesco Seydou Kanté. Profitant des bonnes faveurs de la communauté internationale, il est un temps pressenti pour le poste bientôt vacant de secrétaire général de l’ONU. Des aspirations aujourd’hui envolées. “C’est terminé, commente, Caroline Roussy, de l’Institut des relations internationales et stratégiques. En tentant de reporter l’élection, il a perdu toute crédibilité sur la scène internationale”.

Au Sénégal aussi, son image de démocrate s’est ternie. Ces dernières années, il passe pour un “hyperprésident” aux dérives autoritaires. “Au fur et à mesure qu’il s’est rendu compte de l’immensité de son pouvoir, il a évolué vers un style autocratique, moins consultatif”, estime Aminata Touré. En déclarant en 2015 lors d’un déplacement vouloir “réduire l’opposition à sa plus simple expression”, Macky Sall a commis un faux pas. Durant ses deux mandats, il n’a d’ailleurs pas été tendre avec ses rivaux, dont les plus sérieux ont fini par être condamnés, voire écroués. C’est le cas de l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall (pour détournement de deniers publics) et de Karim Wade, le fils de l’ancien président (pour enrichissement illicite).

En 2021, s’est ouverte une bataille politico-judiciaire avec le candidat de l’opposition le plus sérieux Ousmane Sonko, incarcéré en juillet 2023 pour une affaire de mœurs et libéré la semaine dernière. En privé, Macky Sall justifie à demi-mot son combat contre Ousmane Sonko par sa volonté de “faire rempart aux salafistes” et les liens supposés de cet opposant avec le Qatar et la mouvance des Frères musulmans. “Là-dessus, Macky n’a pas tout à fait tort, mais ce qui a motivé Sonko, c’est le troisième mandat qu’entendait briguer le président”, croit savoir l’ancien ministre Thierno Alassane Sall et candidat à l’élection.

Interdiction des manifestations de l’opposition, répression meurtrière, coupures Internet, détention de militants politiques et de journalistes… Pour les ONG de défense des droits humains, le recul des libertés fondamentales sous le président Sall est une réalité indéniable. Ces dernières semaines, face au Conseil constitutionnel, dernier rempart face à l’autoritarisme croissant, et certainement à des pressions internationales, Macky Sall a lâché du lest. “Il a reculé, certes, mais il a longtemps fait le choix de s’acharner ; la démocratie Sénégalaise a payé un lourd tribut”, pointe Aminata Touré, rappelant qu’au moins 40 personnes sont mortes dans la répression des manifestations depuis 2021.

Dans une dernière tentative d’apaisement, Macky Sall a fait voter, le 6 mars, une loi d’amnistie, censée bénéficier aux détenus politiques. L’opposant Ousmane Sonko et son second, Bassirou Diomaye Faye, candidat favori à l’élection présidentielle du 24 mars, ont été libérés, respectivement après huit et onze mois de détention, jeudi dernier. Enfin, ils ont pu mener campagne. Mais ladite loi ne convainc guère, tant elle protège aussi les auteurs de la répression d’éventuelles poursuites. “Ce n’est pas un pas vers l’opposition pour l’apaisement, c’est un geste d’autoprotection pour lui-même et ses acolytes”, dénonce Aminata Touré, alors qu’une plainte auprès de la Cour pénale internationale (CPI) a été déposée l’année dernière. L’élection de ce dimanche, qui intervient après une annulation et un report de scrutin, demeure incertaine. Mais une chose est sûre : la sortie de Macky Sall ne sera pas à la hauteur de son entrée, en 2012 lorsqu’il incarnait les espoirs de toute une nation. A propos de cette fin de mandat raté, un visiteur régulier du palais présidentiel conclut : “Macky Sall le sait, il la craint même.”

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