Reconversion d’Olivier Véran : il faut arrêter d’emmerder les ministres, par Denys de Béchillon

Reconversion d’Olivier Véran : il faut arrêter d’emmerder les ministres, par Denys de Béchillon

Ô, certes, tout un chacun peut faire de la reconversion d’Olivier Véran sa petite analyse politico-morale. Lui, qui n’était pas le dernier des donneurs de leçons quand il était ministre, va donc consacrer son art à la médecine esthétique, qui plus est dans une clinique très chic ? Mauvais genre… On dirait du Cahuzac… Franchement, il aurait dû revenir à sa neurologie natale dans les hôpitaux publics où l’on manque de bras ; surtout s’il veut continuer à exister dans la vie politique. Et puis cette manière de se justifier – je n’exercerai qu’à temps très partiel, me limiterai à certaines pratiques, continuerai à donner du temps à des causes désintéressées… – c’est d’un ridicule…

Soit. On a le droit de bien rire, de monter dans les cintres ou de s’en moquer comme de sa première injection de Botox. C’est l’affaire de chacun et ça passera comme le reste. Ce qui, en revanche, mérite une attention plus objective tient au sous-texte véritable de cette affaire : au fond, ce que l’on reproche à Véran, c’est son impureté, la trahison de son apostolat, la compromission de son âme. Dit autrement, on n’a pas le droit de passer d’un monde à l’autre. Quand on se donne à l’intérêt général, c’est pour la vie. Honni soit qui franchira la frontière, surtout si c’est pour quelques dollars de plus.

Décidément, la France a un problème avec l’argent des autres en plus qu’un appétit sans bornes pour la dénonciation de leurs turpitudes. Sous ce rapport, on ne dira jamais assez qu’il y a, dans le style torquemadesque d’Anticor, de Mediapart ou de LFI, le symptôme et la cause d’une régression calamiteuse des esprits à leur composante la plus archaïque : celle des bas instincts, des passions tristes, de la violence accusatoire et des automatismes de pensée, avec pour corollaire l’impossibilité même de réfléchir vraiment ; par exemple à l’intérêt (général) que la société pourrait avoir à laisser les serviteurs de l’Etat libres de le quitter pour mener d’autres vies sans avoir à redouter le goudron et les plumes.

Pompidou avait raison

La question mérite pourtant d’être posée, surtout si l’on voit l’immense difficulté qu’a la collectivité à attirer vers elle les meilleurs de ses enfants (et pas seulement pour entrer à son gouvernement ou se faire élire dans ses enceintes parlementaires). Puisque nous ne pouvons pas les payer bien, n’est-il pas suicidaire que nous nous employions à boucher leur horizon ? Ne serait-il pas heureux que nous les laissions, le cœur léger, se consacrer à la chose publique tant qu’ils en ont toujours le goût, et admettre comme un des termes de l’équation normale que certains d’entre eux puissent un jour vouloir changer de crémerie, voire chercher à obtenir des rémunérations plus élevées ? Pourquoi faudrait-il que la fonction publique soit un engagement à mort, une vocation perpétuelle ? Pourquoi faudrait-il nier que nous changeons, que nous vieillissons, que nos désirs évoluent tout autant que nos besoins ? Que nous pouvons à certains moments vouloir autre chose pour nous-mêmes ; connaître de nouveaux métiers, trouver une liberté, nous rendre utiles autrement, vivre plus confortablement, dépasser nos frustrations – Dieu sait que l’Etat en fabrique – surmonter nos déceptions ; parfois nos échecs ? Pourquoi faudrait-il que l’argent propre soit sale ?

Bien sûr, des garde-fous sont nécessaires, pour éviter surtout que quelques moutons noirs ne détournent leur pouvoir public à des fins personnelles en favorisant une entreprise dont ils recherchent sournoisement l’emploi. Mais ils sont déjà édifiés, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en tête ; sans doute même un peu trop haut. Le sujet n’est vraiment pas là. Ce qui présente une importance tout autre, c’est notre état d’esprit collectif, notre aptitude perdue à regarder plus loin que le bout de ce nez avec lequel nous adorons furieusement flairer les mauvaises odeurs et le faire savoir sans relâche.

Georges Pompidou avait raison : il faut arrêter d’emmerder les Français. Ça vaut en règle tout à fait générale. En particulier – tout le monde y ayant bénéfice –, ça devrait valoir aussi pour les agents publics. Et même pour les ministres.

* Constitutionnaliste et professeur de droit à l’université de Pau

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *