“Remède de cheval”, “mettre à l’index”… Le monde infini des sens figurés

“Remède de cheval”, “mettre à l’index”… Le monde infini des sens figurés

“Rodrigue, as-tu du cœur ?” Dans cette citation célèbre, tout le monde entend “cœur” mais personne ne pense à “l’organe musculaire creux, qui constitue l’élément moteur central de la circulation du sang”. Logique : c’est évidemment le sens figuré que Corneille utilise ici, ou, plus exactement, l’un de ses sens figurés. Car les usages de ce terme sont innombrables, qui désignent selon les cas la bonté (“avoir bon cœur”) ; l’ardeur (“mettre du cœur à l’ouvrage”) ; l’amour (“une peine de cœur”) ; la séduction (“faire le joli cœur”) ; l’appétit (“manger de bon cœur”) ; la sincérité (“parler à cœur ouvert”) ; la conviction (“j’ai voulu en avoir le cœur net”) ; la mémoire (“apprendre par cœur”) ; le centre d’un espace (“le cœur d’une ville”). Sans oublier, bien entendu, le courage – de même étymologie – comme c’est le cas pour le noble Rodrigue ou pour la célèbre devise “A cœur vaillant, rien d’impossible” du bien nommé Jacques… Cœur.

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De nombreux mots de la langue française ont ainsi plusieurs acceptions. Et c’est à ce beau sujet que Roland Eluerd, agrégé de lettres modernes, a eu l’excellente idée de consacrer un ouvrage foisonnant (1). En voici quelques exemples :

– Aiguille. C’était inévitable : la forme de cette petite tige métallique est trop particulière pour ne pas avoir donné naissance à une foule d’images, que ce soit dans l’horlogerie (“les aiguilles d’une montre”) ; la mode (“un talon aiguille”) ; l’architecture (“l’aiguille de Saint-Pierre-de-Rome”) ; le paysage (“l’aiguille du Midi”) ou le monde ferroviaire (“l’aiguille de chemin de fer”).

– Cheval. La plus noble conquête de l’homme est visiblement une source d’inspiration inépuisable puisque, selon les circonstances, le quadrupède devient une personne (“Dommage qu’il picole, ce n’est pas un mauvais cheval”) ; un médicament (“un remède de cheval”) ; une passion (“c’est son cheval de bataille”) ; une coiffure (une “queue-de-cheval”) et même… un impôt (“un cheval fiscal”). On est en France ou pas ?

– Dent. Curieusement, les emplois figurés de ce terme renvoient assez peu au domaine de la nourriture. On trouve bien “dévorer à belles dents” ou, à l’inverse, “manger du bout des dents” mais, pour l’essentiel, les images sont surtout associées à l’agressivité : “être armé jusqu’aux dents”, “montrer les dents”, “avoir la dent dure” ou “garder une dent contre quelqu’un”.

– Etoile. Une étoile est d’abord un astre, d’où “dormir à la belle étoile” ou “être né sous une bonne étoile”. Et comme une étoile brille, il est gratifiant (mais terriblement difficile) d’obtenir le titre de “danseur étoile” ou, dans un restaurant, de décrocher sa “troisième étoile”. Toutefois, une étoile est aussi une forme, employée comme telle dans les mondes animal (“l’étoile de mer”) et végétal (“l’étoile d’eau”) ou encore en typographie, notamment par souci de discrétion (“On a vu la marquise M*** au bras du comte P***”).

– Feuille. Loin d’être réservé aux arbres et aux plantes, “l’organe végétal fondamental de nombreux végétaux” (Larousse) désigne également une oreille (“être dur de la feuille”), la peur (“trembler comme une feuille”), du papier (“les bonnes feuilles d’un livre”) ou un mauvais journal (“une feuille de chou”). Une appellation qui, cela va de soi, ne s’applique aucunement à L’Express !

– Index. Le doigt de la main le plus proche du pouce tire son nom d’un mot latin qui signifiait “indicateur” parce que les humains l’utilisent souvent pour montrer quelque chose ou quelqu’un. A partir du XVIIe siècle, il a également servi à désigner les tables alphabétiques qui, dans un livre, énumèrent les sujets traités ou les noms cités. Toutefois, son plus grand succès provient de son utilisation par le Saint-Siège. C’est en effet sous cette appellation que le Vatican a longtemps regroupé les livres dont la lecture était déconseillée aux bons catholiques. Ce qui, en pleine polémique sur l’usage du préservatif dans la lutte contre le sida, valut au président de la conférence des évêques de France cette pique du député André Santini : “Mgr Decourtray n’a rien compris au préservatif. La preuve, il le met à l’index !”.

– Pain. Cet élément de base de notre alimentation a suscité de nombreux emplois, notamment, comme on pouvait s’y attendre, dans le domaine de la nourriture : un “pain de poisson”, un “pain d’épices”, un “pain perdu”, etc. Mais le terme est sorti depuis longtemps de son univers d’origine. La preuve : il sert également de repère pour parler de rémunération (“gagner son pain”) ; d’une bonne affaire (“j’ai acheté cette voiture pour une bouchée de pain”) ; d’une quantité de travail (“avoir du pain sur la planche”). Il revêt même parfois une valeur morale quand il s’agit d’évoquer la dignité (“il est franc comme du bon pain”) et l’honnêteté (“je ne mange pas de ce pain-là”).

– Vaisseau. Il y a beau temps que l’on ne croise plus des vaisseaux uniquement sur les mers. La preuve avec les “vaisseaux sanguins”, les “vaisseaux du désert” (le chameau et le dromadaire, bien sûr) ou encore le “vaisseau amiral d’une marque” (son principal magasin). En revanche, il est recommandé de ne jamais “brûler ses vaisseaux” (s’engager trop loin pour pouvoir reculer).

– Zéro. On l’imagine : ce chiffre si particulier ne sert pas vraiment à adresser des compliments ni à décrire un sentiment d’euphorie. En témoignent des formules comme “avoir le moral à zéro”, “avoir le trouillomètre à zéro”, “compter pour zéro”, sans oublier le peu flatteur “celui-là, c’est un vrai zéro”. Les plus philosophes considéreront toutefois qu’à tout prendre, cela reste moins grave que de valoir “moins que zéro”.

A noter enfin que, dans l’expression “sens figuré”, “figuré” est lui-même employé au sens figuré. On n’est décidément jamais si bien servi que par soi-même…

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(1) Le jardin des mots. Dictionnaire amusant et savant des sens figurés, par Roland Eluerd. Editions Aux feuillantines.

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Etienne de la Boétie. Discours de la servitude volontaire/Prezegenn a-zivout ar sujidigezh youlek. Traduction de Pascal Henry. Le Temps éditeur.

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Les super pouvoirs des dyslexiques en entreprise, par Marine Balansard et Quentin Bous. Editions Eyrolles.

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