Un nouveau changement à la tête l’armée russe, cette fois-ci au niveau de sa flotte. On savait le commandant Nikolaï Evmenov, à la direction de la marine militaire russe depuis 2019, quasiment hors de course après les nombreux succès de l’Ukraine en mer Noire. Le 10 mars dernier, des médias russes avaient même affirmé, citant des sources anonymes, que celui-ci avait été démis de ses fonctions par le président Vladimir Poutine et remplacé par l’amiral Alexandre Moïsseïev. Le Kremlin avait alors refusé de se prononcer sur le sujet, sans pour autant nier ces informations.
Ce mardi 19 mars, Alexandre Moïsseïev a bien officiellement été présenté comme le commandement “par intérim” de la marine russe lors d’une cérémonie avec des équipages de sous-marins dans le port de Kronstadt (nord-ouest), ont rapporté les agences d’Etat TASS et Ria Novosti.
Selon sa biographie sur le site du ministère de la Défense, Alexandre Moïsseïev, 61 ans, sous-marinier de formation, dirigeait depuis 2019 la flotte du Nord. Son prédécesseur, l’amiral Nikolaï Evmenov commandait lui l’ensemble de la flotte russe depuis quatre ans. Avant cela, cet ancien sous-marinier avait aussi été le commandant de la flotte du Nord.
Le calvaire de l’armée russe en mer Noire
Contrairement aux forces terrestres russes, qui ont repris initiative sur le front en Ukraine, la flotte russe a dû se replier en mer Noire face aux multiples attaques de drones maritimes de surface ainsi que les missiles de longue portée de l’armée de Kiev. Ces succès ont permis à l’armée ukrainienne de couler ou endommager de nombreux navires russes, revendiquant même début février avoir détruit plus d’un tiers de la flotte russe basée en mer Noire, tout en permettant de rouvrir un couloir maritime pour exporter ses céréales.
Début mars, la marine ukrainienne a par exemple affirmé avoir détruit “le plus moderne des patrouilleurs russes, le ‘Sergueï Kotov'”, touché par des drones maritimes, près du détroit de Kertch reliant la Crimée à la Russie. Parmi d’autres succès, l’Ukraine avait bombardé en septembre 2023 le Quartier général de la flotte de la mer Noire à Sébastopol en Crimée, en encore, au printemps 2022, au début du conflit, réussi à couler le ‘Moskva’, le vaisseau amiral de la flotte russe.
“Alors qu’ils n’ont presque plus de marine, les Ukrainiens ont réussi à faire de la mer Noire un espace extrêmement dangereux pour les forces russes, résumait auprès de L’Express l’ancien amiral Pascal Ausseur, aujourd’hui directeur général de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques. “Grâce à leurs drones de surface, ils sont capables de porter le combat à plusieurs centaines de kilomètres des côtes”. De quoi entraîner un nécessaire changement dans la stratégie russe, donc.
Des bouleversements fréquents
Si les changements dans le commandement de l’armée ukrainienne ont été vivement discutés et commentés, avec notamment le remplacement du populaire Valeri Zaloujny par Oleksandr Syrsky à la tête des forces armées début février, on ne peut pas dire que la stabilité soit de mise du côté de l’état-major russe, loin de là.
Le dernier changement en date concernait la direction de l’armée de l’air, en août 2023. Le commandant Sergueï Sourovikine, surnommé le “général Armaggedon” pour la brutalité de ses méthodes, avait été officiellement évincé… le jour même de la mort de l’ancien chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine, dont il était l’un des plus fidèles soutiens au sein de l’état-major russe.
A partir de la révolte avortée des forces de Wagner en juin 2023, cet influent général avait d’ailleurs mystérieusement disparu de l’espace public, signe de son déclassement et des luttes internes au sein du commandement militaire russe. Sourovikine n’était finalement réapparu que pour la première fois en septembre dernier, en Algérie, lors d’une visite officielle russe, dans une tenue civile aux côtés d’officiers en uniforme militaire.
Le mystère du chef d’état-major russe
Mais le poste qui avait connu le plus de changements est assurément celui de chef de l’offensive en Ukraine, officiellement appelé le commandant du “groupement combiné des troupes déployées en Ukraine”. Au début de l’année 2023, le général russe Valeri Guerassimov, également chef d’état-major de l’armée russe, avait été nommé pour remplacer… Sergueï Sourovikine, qui connaissait alors sa première rétrogradation. Sauf que ce dernier avait déjà remplacé quelques mois plus tôt un autre général, Alexander Lapine. Un capharnaüm à grande échelle, qui témoignait alors de l’agacement du Kremlin face à l’échec de la victoire éclair tant espérée.
Depuis, Guerassimov avait réussi à se stabiliser à la tête de l’offensive en Ukraine tout en conservant son poste de chef d’état-major général, notamment pour avoir mis en échec la contre-offensive de Kiev l’été dernier. Mais en Russie, ça ne suffit visiblement pas pour que les choses soient simples. Ainsi, le chef des forces armées russes était au cœur de nombreuses rumeurs autour de sa disparition, après ne pas être apparu en public durant tout le début d’année 2024. Des bruits avaient alors circulé, l’annonçant tué lors de frappes aériennes ukrainiennes en Crimée le 4 janvier dernier, sans que le Kremlin ne confirme ni ne démente cette information.
Il n’en fallait pas plus pour que toutes les spéculations soient agitées. Une vidéo publiée par Moscou le 22 février l’a toutefois montré en train de décorer des militaires en évoquant le succès de ses troupes dans l’est de l’Ukraine. Avant que des images publiées sur les réseaux sociaux ne le montrent en train de voter aux côtés du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou lors de l’élection présidentielle russe le week-end dernier. Des clichés à la véracité à questionner, et qui surtout, ne viennent pas confirmer si Guerassimov dirige encore les forces armées russes. Au commandement militaire de Moscou, on commence à le comprendre : personne n’est vraiment en sécurité.
