“Syndrome de La Havane” : la Russie aurait utilisé des armes soniques contre des Américains

“Syndrome de La Havane” : la Russie aurait utilisé des armes soniques contre des Américains

Migraines, vertiges, nausées, acouphènes, insomnie, troubles de la vision… A partir de 2016, des diplomates américains en poste à Cuba ont dit être frappés de troubles étranges. Ces “incidents anormaux de santé”, selon la terminologie employée aux Etats-Unis, ont ensuite été signalés ailleurs dans le monde (Chine, Allemagne, Australie, Russie, Autriche) et même à Washington. Au total, plus d’une centaine de diplomates, de membres de la CIA, d’officiers militaires et d’entrepreneurs américains, parfois leurs conjoints, leurs enfants et leurs animaux, ainsi que plusieurs responsables canadiens, ont été affectés par ces maux.

Plusieurs médias dévoilent de nouveaux éléments sur ce mystérieux syndrome. Selon une enquête publiée ce lundi 1er avril par le site d’information russe indépendant The Insider, le magazine allemand Der Spiegel et la chaîne américaine CBS, ce “syndrome de La Havane” est en lien avec une unité du renseignement russe.

Les diplomates pourraient être victimes d’une arme sonique de la Russie. L’enquête, qui a duré plus d’un an et qui se base notamment sur des documents des services de renseignement russes interceptés et des journaux de voyage, dit avoir “découvert des éléments suggérant que ces incidents anormaux de santé […] pourraient provenir de l’utilisation d’armes à énergie dirigée, maniées par des membres de l’unité 29155” du GRU, le service de renseignement militaire russe. L’unité 29155 est chargée des opérations à l’étranger et s’est déjà retrouvée au centre de plusieurs affaires. Elle est notamment accusée de la tentative d’empoisonnement de l’ancien espion russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni en 2018.

“Leur champ d’action est mondial pour la conduite d’opérations létales et d’actes de sabotage”, a déclaré à The Insider un ancien haut responsable de la CIA, l’agence américaine de renseignement. Conçue à l’origine comme une unité de formation au sein du GRU, elle a en effet été réorganisée et élargie en 2008 pour devenir une équipe opérationnelle consacrée aux campagnes d’assassinat, de sabotage et de déstabilisation politique à travers le monde. Contrairement à d’autres équipes au sein du vaste appareil de renseignement russe, celle-ci n’espionne pas les gens, du moins pas dans le but de recueillir des informations : elle est donc exclusivement consacrée aux opérations militaires violentes.

Le système nerveux central touché

Comme le relève cette enquête, des agents russes ainsi que des membres de cette unité 29155 du GRU, voyageant sous couverture, ont été géolocalisés dans des endroits à travers le monde juste avant ou au moment d’incidents de santé anormaux signalés. En outre, des membres supérieurs de cette unité ont reçu des récompenses et des promotions politiques pour des travaux liés au développement “d’armes acoustiques non létales”, un terme utilisé dans la littérature scientifique militaire russe pour décrire à la fois les sons et les radiofréquences.

Selon un rapport classifié du renseignement américain publié en septembre 2022, intitulé “Anomalous Health Incidents : Analysis of Potential Causal Mechanisms”, une énergie acoustique inaudible à haute fréquence peut pénétrer dans le corps par le conduit auditif ou d’autres parties de la tête, provoquant une perturbation potentielle du système nerveux central, en particulier de l’oreille interne, où le son et l’équilibre sont détectés. L’énergie des micro-ondes et des ultrasons peut notamment endommager les cellules du cerveau.

En outre, The Insider, CBS et Der Spiegel ont obtenu un ensemble de documents de renseignement décrivant un programme classifié de l’ère soviétique nommé Reduktor, ou “Gearbox”. Lancé en 1984 à l’Institut de recherche sur les mesures techniques radio à Kharkiv (aujourd’hui en Ukraine), la tâche principale de Reduktor était d’étudier les utilisations du “rayonnement électromagnétique pour influencer le comportement et les réactions des objets biologiques, (y compris] les personnes”.

Une enquête “sans fondement” selon Moscou

L’enquête des trois médias avance que les premiers cas de syndrome de La Havane se seraient produits en Allemagne deux ans avant ceux rapportés à Cuba en 2016. A Francfort, un employé au consulat des Etats-Unis aurait ainsi perdu connaissance en raison de ce qui s’assimilerait à un “fort rayon d’énergie”. La victime, qui a ensuite reçu un diagnostic de traumatisme crânien, a pu identifier un agent de l’unité 29155 basée à Genève.

L’affaire avait entraîné dès le début de vastes spéculations sur son origine. Certains responsables américains ont minimisé au départ les symptômes parfois attribués au stress, d’autres évoquant en privé de possibles attaques et soupçonnant déjà des pays comme la Russie. Le renseignement américain, par la voix de la Directrice nationale du renseignement, Avril Haines, avait estimé le 1er mars 2023 “très improbable” qu’une puissance étrangère ou une arme soit à l’origine du mystérieux trouble. Plus tôt, en janvier 2022, un haut responsable du gouvernement interrogé par l’AFP indiquait déjà qu’il était “improbable qu’un acteur étranger, dont la Russie, mène une campagne mondiale prolongée pour nuire au personnel (des ambassades américaines) avec une arme ou un mécanisme” d’ondes électromagnétiques, même si cette piste n’était “pas écartée”.

Ce lundi, Moscou a rejeté l’enquête menée par les médias internationaux comme “sans fondement”. “Ce sujet a été gonflé dans la presse depuis plusieurs années déjà. Et depuis le début, c’est souvent associé à la Russie”, a déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov lors d’une conférence de presse. “Mais personne n’a jamais publié de preuve convaincante, donc tout cela n’est rien d’autre qu’une accusation sans fondement”, a-t-il affirmé.

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