Toni Grand, sculpteur du vivant

Toni Grand, sculpteur du vivant

Une crise de la représentation. Voilà ce qui a conduit Toni Grand à construire une statuaire minimale et singulière. “A la suite de l’école de Paris, la question était de savoir comment faire une peinture et une sculpture radicalement nouvelles. Il fallait repartir à zéro”, résumait le Camarguais taiseux au cours de l’un de ses rares entretiens accordés à la presse. Les œuvres de l’artiste, mort en 2005 à l’âge de 70 ans et célébré à l’international de son vivant, se sont faites discrètes sur les cimaises ces dernières décennies. Un hommage au MAC de Marseille en 2007 et une grande exposition à Genève il y a plus de dix ans, c’est tout. Autant dire que la rétrospective que lui consacre aujourd’hui le musée Fabre, à Montpellier, jusqu’au 5 mai, a des allures de résurrection. Près de 80 pièces s’y déploient sur 850 mètres carrés dans un parcours aéré qui donne toute leur place aux grands formats.

On a volontiers américanisé le sculpteur. Pour son prénom, parfois faussement lesté d’un y – en fait, Toni n’est que le diminutif d’Antoine, qui, toute sa vie, resta fidèle à son Midi natal. Ce fils d’un exploitant agricole du Gard, qui gagne chaque matin les bancs de l’école à cheval, commence à bricoler le bois et le fer à l’adolescence. Diplômé maître berger, il passe brièvement par les Beaux-Arts de Montpellier, revient traumatisé de son service militaire en Algérie où on l’a affecté dans des commandos pratiquant la torture, avant se former à Paris dans l’atelier de la sculptrice hongroise Marta Pan. Dès 1967, à la Biennale de Paris, les Prélèvements – formes abstraites en résine – de Toni Grand interpellent.

“Sans titre, 20.07.88”, 1988 (bois, anguilles et résine polyester).

Viennent ensuite la découverte du travail des minimalistes d’outre-Atlantique au Grand Palais et sa rencontre, à Nice, avec les membres de Supports-Surfaces. Du courant américain comme du groupe français le sculpteur sera durablement marqué, même si son univers garde une identité propre : “La beauté des matériaux simples, aux formes étranges et aux gestes pauvres, s’inscrit dans une démarche qui combat toute tentation spectaculaire”, soulignent les commissaires Olivier Kaeppelin et Maud Marron-Wojewodzki.

Refentes parallèles, écorçages, équarrissages, torsion, collage… L’artiste est un virtuose du bois. A partir de chutes ramassées près de son mas, il élabore des lignes courbes d’une grande sensualité, dont l’économie de moyens et le caractère épuré masquent la complexité technique. Plus tard, il explore de nouveaux matériaux : le polyester stratifié, que l’on retrouve moulé dans ses doubles colonnes de troncs d’arbres au pavillon français de la Biennale de Venise 1982 ; la résine, qui, mêlée au bois, crée des formes contrastées entre opacité et transparence ; la pierre, l’os, à l’instar du Cheval majeur qui renvoie à la sculpture de Duchamp-Villon de 1914 et que Toni Grand façonne à partir du squelette exhumé de sa propre monture, et… les poissons, alliant ainsi l’organique et l’artificiel, le vivant et le synthétique.

Vue de l’exposition “Toni Grand, morceaux d’une chose possible”. A dr. : “La Réparation” (1974-1987).

A ces anguilles, congres et plus rarement carpes, fournis par un pêcheur du coin, il refuse toute référence symbolique : “Ce sont des morceaux du monde. C’est une autre partie du monde réel qui est convoquée”, dira-t-il. En témoigne l’emblématique Réparation, faite de bois en 1974, puis cassée et réparée, treize ans plus tard, à l’aide d’un pansement d’anguille enrobée de résine et de fibre de verre qui épouse parfaitement la courbure du bois.

Exposition “Toni Grand, morceaux d’une chose possible”, au musée Fabre, à Montpellier, jusqu’au 5 mai 2024.

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