Trafics, fausses ordonnances… L’inquiétant détournement de l’antidiabétique Ozempic

Trafics, fausses ordonnances… L’inquiétant détournement de l’antidiabétique Ozempic

La folie Ozempic n’est pas près de s’arrêter. Commercialisé dans de nombreux pays dont la France depuis 2019, ce médicament prescrit contre le diabète de type 2 continue de faire face à des ruptures de stock. “Nous vivons une pénurie depuis plusieurs mois, des patients qui en ont besoin ne trouvent plus de cette classe de médicaments et leur diabète s’aggrave”, déplore le professeur Fabrizio Andreelli, endocrinologue à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (AP-HP, Paris).

De fait, les tensions sont telles que depuis la fin de l’année dernière, les médecins ne peuvent plus commencer de nouveaux traitements par Ozempic pour les patients souffrant de diabète de type 2. Une situation dont les autorités estiment qu’elle devrait perdurer au moins jusqu’au mois de juin, selon nos informations. “L’idée était de garder les produits disponibles pour les personnes déjà sous traitement. Mais pour l’instant, nos patients doivent bien souvent se rendre dans plusieurs pharmacies. Certains combinent deux injections pour arriver à la dose prescrite et une minorité réduisent transitoirement leurs doses, le temps que leur pharmacie soit approvisionnée”, constate aussi le Dr Muriel Coupaye, endocrinologue à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes.

La principale explication à ces difficultés d’approvisionnement est à chercher du côté de l’explosion de la demande mondiale et des capacités de production encore insuffisantes des industriels. Mais des personnes non diabétiques désirant profiter du pouvoir amaigrissant de cette molécule tentent de s’en procurer à tout prix, quitte à utiliser de fausses ordonnances. Ce qui peut aussi accroître les tensions.

Le principe actif de l’Ozempic, le sémaglutide, imite une hormone produite par l’intestin impliquée dans le contrôle de la glycémie et la libération d’insuline lorsque le taux de glucose dans le sang est élevé. Mais il ralentit aussi la vidange de l’estomac et diminue ainsi l’appétit, engendrant d’importantes pertes de poids. De l’ordre de 10 à 15 % en un an, selon le laboratoire danois Novo Nordisk, son fabricant. Ce dernier a d’ailleurs développé Wegovy, un médicament également à base de sémaglutide, mais destiné aux patients obèses. Son principal concurrent, le laboratoire américain Eli Lilly qui fabrique l’antidiabétique Mounjaro, a également lancé son dérivé anti-obésité (baptisé Zepbound sur le marché américain).

Ordonnances falsifiées, photocopiées, réutilisées

En France, seul l’Ozempic est pour l’instant commercialisé. Wegovy a reçu un avis favorable dans le traitement de l’obésité fin décembre, mais il reste limité aux 10 000 personnes très obèses avec une maladie associée qui ont pu bénéficier d’un accès précoce. Mounjaro et Zepbound, eux, sont encore en attente. Reste donc l’Ozempic, disponible avec une ordonnance classique. Et certains en profitent. “Partout où ils sont autorisés, les médicaments à base de sémaglutide normalement réservés aux personnes vivant avec un excès pondéral ou un diabète de type 2 sont détournés par des personnes sans surpoids et sans diabète”, regrette le professeur Fabrizio Andreelli.

L’Hexagone n’échappe pas à la règle. Les autorités ont déjà alerté sur la multiplication d’ordonnances falsifiées, photocopiées et réutilisées. “Il est difficile de tracer les ordonnances utilisées plusieurs fois, car les pharmacies ne centralisent pas toujours leurs données entre elles et des personnes peuvent aller d’officine en officine, jusqu’à se faire prendre”, ajoute le Pr. Andreelli.

L’ampleur du phénomène reste délicate à évaluer. Le Pr Jean-Luc Faillie, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Montpellier, chargé de la surveillance d’Ozempic, a étudié plus de 250 signalements d’ordonnances falsifiées repérées par des pharmaciens d’officine. Souvent des faux grossiers, avec des fautes d’orthographe, et beaucoup de “prescripteurs” basés en Ile-de-France, dont les ordonnances étaient réutilisées dans d’autres régions. Mais cela pourrait n’être que “la partie émergée de l’iceberg”, selon le spécialiste. “Il s’agit d’observations non exhaustives basées sur du déclaratif de la part de pharmaciens sensibilités, qui ont pu repérer les ordonnances suspectes, et bloquer la délivrance du médicament”, indique-t-il.

Déjà en 2023, alors qu’il n’y avait pas encore de pénurie d’Ozempic, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) annonçait que la part de patients considérés comme en mésusage était passée de 0,7 % en mai 2022 à 1,4 % fin mai 2023. Les professionnels tentent donc de mettre en place un protocole à chaque fois qu’ils font face à une ordonnance suspecte, comprenant la sauvegarde des images de vidéosurveillance du passage des individus suspects si cela est possible et le dépôt d’une plainte auprès de la police.

Car outre les coûts supplémentaires pour la sécurité sociale, ces fausses ordonnances semblent également alimenter un trafic de revente au marché noir. Plusieurs interpellations ont déjà eu lieu et des enquêtes sont en cours. En attendant, la situation devient à ce point critique que des produits frauduleux arrivent sur le marché. “Certains atteignent même les grossistes qui distribuent les pharmacies officielles”, assure l’endocrinologue. L’Agence européenne des médicaments a elle-même alerté, fin 2023, sur l’apparition de faux stylos injecteurs d’Ozempic, découverts dans différents pays du Vieux Continent.

Le bénéfice-risque en question pour les non diabétiques et non-obèses

Pour expliquer la ruée vers ces médicaments qui permettent d’aussi impressionnantes pertes de poids, les spécialistes pointent du doigt la promotion d’influenceurs qui se piquent face caméra sur les réseaux sociaux et partagent leurs photos “avant après” montrant les transformations. Sans compter les témoignages des stars américaines, comme la présentatrice Oprah Winfrey ou le magnat de la tech Elon Musk, qui en vantent les mérites. “Dans un monde où l’image de soi est parfois essentielle, l’usage de ces produits est une aubaine, mais ce “à tout prix” est dangereux car il pousse à utiliser des produits non recommandés ou dangereux pour certaines catégories de la population”, accuse le Pr. Andreelli.

Si le bénéfice-risque est en faveur d’Ozempic chez les diabétiques ou de Wegovy chez les personnes obèses, ce n’est pas le cas pour les non-obèses qui souhaitent perdre facilement quelques kilos superflus. Ses effets secondaires ont beau être globalement limités (nausées), l’ANSM met en garde contre certaines réactions, certes plus rares, mais pouvant se révéler potentiellement graves. Parmi elles, des troubles gastro-intestinaux, des hypoglycémies, voire des pancréatites aiguës qui peuvent survenir même à doses faibles, des troubles biliaires ou des cas de constipation sévère qui peuvent conduire à l’obstruction intestinale, et donc un risque accru de cancer de la thyroïde.

“Et que se passe-t-il si on commence à prendre de telles molécules très jeune, sans surpoids ni diabète, est-ce qu’on pourra s’en passer ? Il y a un risque certain d’épuisement de l’efficacité du produit avec le temps, ce qui nécessiterait d’en prendre plus ou d’autres plus forts”, avance encore le professeur Andreelli, qui s’inquiète des effets chez les personnes vulnérables cherchant de la reconnaissance par le physique et pouvant potentiellement développer une dépendance. En attendant, les médecins, mais aussi les laboratoires Novo Nordisk et Eli Lilly, rappellent que la réduction du poids d’une personne en situation d’obésité repose avant tout sur une prise en charge globale, comportant des mesures diététiques adaptées, un exercice physique régulier et un soutien personnalisé.

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