Baignade dans la Seine pour les JO : ce scénario catastrophe que Paris 2024 veut éviter

Baignade dans la Seine pour les JO : ce scénario catastrophe que Paris 2024 veut éviter

La Une repose sur un meuble dans le bureau du préfet de la région Ile-de-France, Marc Guillaume. On y voit une photo de Paris au crépuscule, encadrée du célèbre liseré rouge du magazine américain Time. Son titre : “Sauver la Seine” – suivi de : “L’effort radical pour sauver la rivière la plus romantique du monde”, en anglais dans le texte. A sa sortie, en avril 2023, le magazine a fait fureur auprès des responsables publics d’Ile-de-France. Un an plus tard, Marc Guillaume ne s’en remet toujours pas. “Faire la une du Time sur la dépollution de la Seine… Il y a peu de nos projets qui intéressent autant le monde entier !” savoure-t-il. A un peu plus de quatre mois des Jeux olympiques, il est confiant : les travaux titanesques engagés pour assainir la Seine seront terminés plusieurs semaines avant l’inauguration. Sauf météo exceptionnelle, les deux épreuves en milieu naturel, la natation marathon – 10 kilomètres de nage en eau libre –, ainsi que la première partie du triathlon, auront bien lieu.

Le cadre des épreuves olympiques est époustouflant : entre le Grand-Palais et la tour Eiffel, les athlètes s’élanceront au pied du Pont-Alexandre III, l’un des plus beaux de Paris. “Ce décor est exceptionnel, s’émerveille Cédric Gosse, président de la Fédération française de triathlon. Surtout pour notre petite fédération.” Le doute semble pourtant être de mise chez certains sportifs. Dans un entretien à l’AFP publié le 7 mars, la nageuse brésilienne Ana Marcela Cunha, championne olympique en titre de natation en eau libre, s’est inquiétée pour la “santé des athlètes”. A l’été 2023, une épreuve des mondiaux de natation en eau libre prévue à Paris, souvent qualifiée d’évènement-test, a été annulée. Une déconvenue pour les sportifs, mais aussi pour la Mairie de Paris, qui comptait en faire une répétition générale avant les JO. Des pluies diluviennes et un problème de plaques d’égout ont eu raison de la qualité de l’eau. A l’international, l’épisode a jeté le doute sur la capacité de Paris à être prête le jour J. “Dans notre discipline, il y a toujours une part d’incertitude sur la tenue d’un évènement. Mais à Paris, tout le monde connaît l’état de la Seine, y compris à l’autre bout du monde, estime Bénédicte Compois, vice-présidente de la Fédération française de natation. L’annulation de l’épreuve en août a renforcé l’inquiétude.”

Aides et travaux

Les autorités d’Ile-de-France assurent que la situation s’est améliorée. Surtout, elles pointent l’aboutissement du “plan baignade” lancé à la suite de l’été 2020. Après quatre ans de travaux colossaux réalisés dans la région et 1,4 milliard d’euros investis, la préfecture annonce que les rénovations touchent au but. Les dernières pierres sont posées sur quatre ouvrages, des réservoirs qui doivent recueillir les précipitations d’énormes orages. Leur but : éviter que la pluie n’inonde les réseaux d’assainissement et déborde dans la Seine.

Trois d’entre eux – un bassin monumental derrière la gare d’Austerlitz, à Paris, un autre situé au niveau du ru Saint Baudile, en Seine-Saint-Denis, et une station de dépollution des eaux pluviales, à Champigny, dans le Val-de-Marne – seront terminés “entre le mois d’avril et de mai”, détaille Marc Guillaume. Le quatrième chantier, celui de la canalisation entre Athis-Mons, en Essonne, et Valenton, dans le Val-de-Marne, au nom barbare de VL8, sera achevé “fin juin, début juillet”. En cas de retard, l’ancien branchement qu’il doit remplacer a également été rénové. Un effort est réalisé du côté des bâtiments publics et des maisons des particuliers, source de pollution si leurs eaux usées se déversent dans le fleuve. “Nous avons réalisé 33 % des branchements privés à faire là où nous pensions en faire 50 %”, détaille Marc Guillaume. L’Etat a donc décidé de remettre la main au portefeuille : “Le niveau d’aide passe de 80 % à 100 % pour les particuliers des communes les plus proches des réservoirs”, reprend le préfet.

Voilà, en principe, de quoi parer les fortes pluies. Pour éviter les incidents “techniques”, un “plan résilience” a été enfin lancé afin de vérifier les 39 déversoirs d’égouts de la capitale. “Les pluies de 2023 ont été particulièrement intenses, mais nous n’avions pas encore le bassin d’Austerlitz, remarque une source du comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo), qui indique que le comité est en “dialogue constant” avec les fédérations : “Les tests-events de l’été nous ont montré ce qu’il y avait à améliorer. Aujourd’hui, tous ces éléments font que nous sommes très confiants.”

La Ville de Paris et l’Etat semblent sur le point de réussir leur contre-la-montre – mais il y a un hic. Aussi gigantesques soient-ils, les collecteurs ne sont pas extensibles. Si des épisodes pluvieux particulièrement violents ont lieu, il arrivera un moment où ils déborderont dans la Seine. Les niveaux de concentration d’Escherichia coli – des bactéries qui informent sur la présence dans l’eau de contamination fécale – risquent de dépasser le seuil autorisé. C’est ce même micro-organisme qui, cet hiver, a contaminé les huîtres du bassin d’Arcachon, entraînant une foule de gastro-entérites. Pour se prémunir des virus, la municipalité évaluera la qualité de l’eau deux fois par jour sur 37 points différents à Paris et en amont à partir du 1er juillet. Si les tests ne sont pas bons, en concertation avec le règlement des fédérations internationales concernées, la course dans la Seine n’aura pas lieu.

Des athlètes malades en Angleterre

Dans ce cas, le Cojo entend retarder les épreuves d’un à deux jours afin de laisser la pollution se dissiper. “Ce n’est pas un problème, assure Cédric Gosse. A ce niveau de compétition, les athlètes savent se concentrer.” Les sportifs évoluant dans les milieux naturels sont habitués à ces aléas. “Cette incertitude rend toujours la préparation plus dure, mais il faut l’intégrer”, estime Olivier Marceau, champion du monde de triathlon en 2000.

Mais que se passera-t-il si, à Paris, les épisodes orageux s’éternisent ? “Aux Jeux d’hiver, si vous avez une énorme tempête de neige, vous ne faites pas de slalom”, relativise Marc Guillaume. Ces 8 et 9 mars, les championnats du monde de triathlon à Abu Dhabi ont été annulés en raison de prévisions annonçant d’importants orages. “Ce serait horrible s’il se passait la même chose aux JO : la honte pour les organisateurs, la lose pour nous, soupire Jeanne Lehair, ancienne championne du monde de triathlon en relais mixte avec la France, puis championne d’Europe avec le Luxembourg. J’en viens à espérer qu’ils ne regardent pas les chiffres d’analyse et maintiennent la compétition. On a connu pire.” Le risque est pourtant réel : en août 2023, à Sunderland, au Royaume-Uni, 57 triathlètes sont tombés malades après avoir participé à une épreuve aux championnats du monde.

Les contraintes du milieu naturel

Un désastre que le Cojo veut évidemment éviter. Côté triathlon, la solution serait de supprimer l’épreuve de natation, et de la remplacer par une course à pied ou à vélo. Ces arrangements ne sont toutefois pas sans conséquence. Jeanne Lehair, qui explique être “meilleure coureuse que nageuse”, en bénéficierait “en théorie” : “Ce serait sans doute mieux pour moi. Mais ça n’a aucun intérêt : ce ne serait plus notre sport.” Son avis est largement partagé. “Cela changerait complètement la nature de la compétition, convient Cédric Gosse. C’est comme si en tennis vous aviez un sportif très bon en fond de cours et qu’en début de match, l’arbitre décidait de réduire le terrain : il y a évidemment un préjudice.” La déception concernerait particulièrement les Français, excellents en natation en triathlon. “Nous sommes leaders sur le relais mixte, poursuit Cédric Gosse. Quand la natation n’a pas eu lieu en 2023 à Paris, il est évident que ça a été beaucoup plus difficile.”

Mais il n’y a pas d’alternative. A l’inverse d’autres compétitions comptant des épreuves en milieu naturel, le Cojo ne prévoit pas de les déplacer dans un lieu alternatif. “C’est un choix que nous n’avons pas vraiment compris, reconnaît Bénédicte Compois. Nous avons évoqué cette possibilité après l’échec du test-event cet été, mais le comité d’organisation olympique n’a pas changé de position.” Si le triathlon peut se transformer en duathlon, il n’y a pas de plan B pour le 10 kilomètres en eau libre : l’épreuve de natation marathon serait supprimée. “Les organisateurs vont finir par penser que le milieu naturel pose trop de contraintes, craint Bénédicte Compois. Ce serait dramatique pour les athlètes, et pour la natation en milieu naturel en général.” Pour éviter les angoisses, côté triathlon, on semble s’en remettre à la méthode Coué. “Notre position est de dire que tout va se dérouler comme prévu”, insiste Cédric Gosse. Reste à espérer… Et à essayer de passer entre les gouttes.

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