Climat : les convertisseurs d’énergie, le nouveau champ de bataille entre les Etats-Unis et la Chine

Climat : les convertisseurs d’énergie, le nouveau champ de bataille entre les Etats-Unis et la Chine

“Le déclin de l’empire industriel européen” : le ton du quotidien suisse Le Temps, pourtant peu enclin à la grandiloquence, était sombre lorsque, à la fin du mois de février dernier, le fabricant helvétique de panneaux solaires Meyer Burger annonçait la fermeture de son usine de Freiberg, près de Dresde en Allemagne, pour se concentrer sur ses sites de production américains. Et pour cause ! Avec cette annonce, ce sont 10 % de la capacité globale de production de panneaux solaires qui s’effacent d’un trait de plume. “Les Européens sont en train de perdre cette industrie stratégique“, pointait le PDG de Meyer Burger. La faute à qui ? D’abord à nous ; pour trouver le coupable, tendons-nous un miroir. Nous y verrons des politiques énergétiques, nationales ou européenne, inconséquentes, véritables bombes à retardement qui ont explosé avec la guerre en Ukraine.

Sans revenir sur un sujet largement traité dans ces colonnes, n’en doutons pas : le procès de la politique énergétique européenne, qui se paye aujourd’hui en prix de l’énergie beaucoup plus élevé que chez nos concurrents, aura lieu dans les urnes le 9 juin prochain, à l’occasion des élections au Parlement européen. Et le verdict devrait être sévère. En cause aussi, la politique fiscale américaine. Dans le cas de Meyer Burger, les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’entreprise suisse va lever jusqu’à 262 millions d’euros pour financer ses nouveaux sites de production dans le Colorado et l’Arizona. En retour, elle s’attend à recevoir… 1,4 milliard d’euros de crédits d’impôt au titre de l’Inflation Reduction Act, le principal outil fiscal américain de soutien aux technologies.

Fin de l’histoire ? Loin de là : notre malheur européen ne fait pas le bonheur américain. Car, vu des Etats-Unis, le combat pour la réindustrialisation verte est loin d’être gagné. Pour comprendre ce qui se joue dans l’univers des “cleantechs”, ces technologies de la décarbonation, il nous faut regarder le monde avec les lunettes du XXIe siècle, non du XXe. La guerre n’est pas euro-américaine, mais sino-américaine ; l’Europe n’est, en l’occurrence, qu’un spectateur qui paye son billet de plus en plus cher. Selon BloombergNEF, à la fin de 2024, les cellules et modules solaires fabriqués aux Etats-Unis coûteront 18,5 cents par watt après l’octroi du crédit d’impôt, contre 15,6 cents pour un produit provenant d’Asie du Sud-Est.

Devenir l’Europe de la Chine

On comprend, dès lors, la crainte exprimée aux Etats-Unis : “devenir l’Europe” de la Chine (sic) ! En réalité, ils le sont déjà : les trois quarts des panneaux solaires dans le monde sont produits dans les provinces chinoises, proportion plus grande encore s’agissant des intrants : polysilicium, cellules… Si la stratégie américaine vise à inverser cette tendance, la position de Pékin, jusqu’à la fin de la décennie, restera ultradominante. Une certitude : dumping, protectionnisme et autres armes de la guerre commerciale vont devenir les maîtres mots des échanges mondiaux dans les années à venir.

La bataille qui s’ouvre donne le la des prochaines guerres de l’énergie dans un monde en transition. Aux XIXe et XXe siècles, c’est l’accès aux sources d’énergie primaire – pétrole, gaz, charbon… – qui était stratégique et déterminait les rapports de force. Au XXIe siècle, ce sont les convertisseurs d’énergie, c’est-à-dire les dispositifs techniques permettant de transformer ces sources primaires en énergie utile pour se chauffer ou s’éclairer, qui sont au cœur des enjeux de la transition : panneaux solaires, batteries, etc. D’où le rôle majeur des métaux stratégiques et des terres rares. La Chine, qui l’a compris de longue date, en tire une formidable position de force.

Ce sujet crucial des convertisseurs d’énergie fait l’objet d’un dialogue passionnant entre Jean-Paul Bouttes, ancien directeur de la stratégie et chef économiste d’EDF, et le philosophe des sciences Dominique Bourg, dans un ouvrage intitulé L’Energie. Histoire et enjeux (éd. Frémeaux & associés). Les conséquences économiques et géopolitiques de ce glissement sont majeures : les nouvelles guerres de l’énergie se joueront dans les mines, les usines et les laboratoires de recherche.

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