Commotions cérébrales : les pistes de la science pour réduire les séquelles

Commotions cérébrales : les pistes de la science pour réduire les séquelles

Il aura fallu attendre dix ans pour comprendre. Qu’est-il arrivé à Raphaël Varane, lors du match France – Allemagne, en quart de finale de la coupe du monde de football 2014 ? D’habitude si fiable, le joueur tricolore rate un ballon à jouer de la tête. L’allemand Mats Hummels, roublard, en profite, dévie la trajectoire et fait trembler les filets. 1 – 0. A la fin du match, les “bleus” sont éliminés.

Dix ans plus tard, le joueur vient de lever le mystère. Le match d’avant, quatre jours plus tôt, il avait reçu un choc à la tête. Un ballon, pleine vitesse, pleine tempe. Il en était encore groggy, au moment fatidique. Le protocole de récupération qu’il a suivi ne l’avait pas complètement rétabli. Il a révélé l’existence de cette commotion cérébrale, ce mardi, au journal L’Equipe. “Je n’étais pas dans mon état normal”, dit-il aujourd’hui.

Les révélations du joueur ont mis l’accent sur les règles du football. Faut-il les faire évoluer, pour éviter les têtes trop cabossées ? Le rugby l’a bien fait, en interdisant certains gestes jugés trop dangereux. Mais un coup, dans le sport, comme ailleurs, est si vite arrivé. Comment, lorsque le mal est fait, éviter, à l’instar de Raphaël Varane, que les souffrances ne durent trop longtemps, et réduire les séquelles ?

Ces dernières années, de plus en plus de scientifiques se sont penchés sur cette question. Son intérêt dépasse largement les enceintes sportives, nul n’étant à l’abri, dans sa vie quotidienne, d’un accident entraînant une commotion cérébrale. “Pendant très longtemps, la médecine du sport et la médecine en général ne s’intéressaient qu’aux traumatismes crâniens, les chocs relativement sévères”, témoigne le Pr Philippe Decq, neurochirurgien à l’Hôpital Beaujon (AP-HP), et conseiller de World Rugby (l’instance équivalente à la FiFA dans le football) sur ces questions.

Car, à chaque fois, c’est la même histoire. A l’IRM, on ne voit rien. Par définition, la commotion est un choc léger, qui ne laisse pas de trace à l’imagerie médicale. Qui plus est, les victimes ne perdent connaissance que dans environ 15 % des cas. Dans le sport, bien souvent, les joueurs reprennent le cours du match. Ce fut le cas de Raphaël Varane, aujourd’hui retraité de l’équipe de France, comme de tant d’autres.

Mettre le cerveau au repos

Mais il y a bien des conséquences à ces têtes que l’on tape, ou qui s’entrechoquent. Une trentaine de symptômes sont associés à ces évènements, de la perte de mémoire aux troubles de la vue en passant par de la fatigue, des problèmes d’équilibre et de nausées. Chez certaines personnes, surtout celles, qui comme les sportifs endurent cela régulièrement, ces effets peuvent durer.

Depuis les années 2000, scientifiques et fédérations sportives se réunissent, pour discuter, entre autres, de la prise en charge. De ces “conférences internationales de consensus sur les commotions”, qui passent en revue la science sur la question, ont émergé un ensemble de bonnes pratiques, qui infusent aujourd’hui en dehors du sport. Parmi elles, la nécessité notamment de rassurer les patients.

Car l’enjeu, avec les commotions, c’est de trouver comment mettre le cerveau au repos. “Elles détraquent temporairement le fonctionnement des neurones. Or le cerveau a besoin d’énergie pour les réparer. Si on l’utilise, on freine le rétablissement. Un peu comme un coureur qui continuerait avec une cheville cassée”, précise le neurochirurgien Philippe Decq. Pour aller mieux, il faut, en quelque sorte, arrêter de penser.

Selon une étude publiée en 2014 dans la revue Pediatrics, menée sur des enfants et des jeunes adultes, les patients qui s’engagent dans des activités cognitives, comme lire, faire ses devoirs ou jouer aux jeux vidéo, de manière intense et prolongée, doublent le temps de rémission. Et, même si on ne fait pas grand-chose, certains patients pensent et repensent au choc et aux risques de séquelles. Un coup à la tête, ce n’est pas anodin, sur le plan psychologique.

Avec son équipe, Philippe Decq a mis en place une expérience pilote. Il rappelle systématiquement ses patients, 10 jours après, et leur fait passer un questionnaire par téléphone. Puis, s’ils vont toujours mal au bout d’un mois, ils bénéficient d’une rééducation. Des séances d’activités physiques douces, préférables au repos total, dans tous les cas. Et un accompagnement psychiatrique, de la kinésithérapie… “Avant, on renvoyait les gens chez eux en leur disant d’attendre. Mais rien que de mettre en place un suivi, cela rassure et fait chuter le temps de rémission”, observe le neurochirurgien.

Biomarqueurs et traitements

D’autres scientifiques tentent de faire émerger des “biomarqueurs”, des indices, que l’on pourrait voir ou prélever dans le corps, qui indiqueraient si le patient a un risque de séquelles ou d’affection longue. C’est le cas de Patrice Péran, directeur de recherche Inserm. Sous sa direction, au laboratoire Toulouse NeuroImaging center, des thésards ont tenté de mener des examens approfondis, à l’IRM, chez des sportifs, cinq jours après un premier choc. Mais l’expérience, qui n’a pas encore été publiée, n’a rien donné. “Là encore, on ne voit pas de lésion. On observe un fonctionnement du cerveau légèrement différent, mais ce n’est pas exploitable”.

Si plusieurs équipes de recherche ont bien démontré qu’il était possible de différencier, à l’IRM, des personnes saines de personnes atteintes de commotion, pour l’instant, ces résultats ne sont pas utilisables en dehors de la recherche. Mais à en croire les échanges lors des conférences de consensus, qui font l’objet de publications scientifiques, la piste est prometteuse. Tout comme celle des protéines. Certaines seraient en quantité anormale après ce type d’incident. Là encore, il faudra du temps avant d’espérer des résultats.

Plus original, des scientifiques espèrent que l’IA et la vidéo pourront un jour déterminer si les chocs sont problématiques, comme l’explique une publication de Clinical journal of sport medicine de mai 2022. “Demain, la plupart des sportifs, amateurs comme professionnels, porteront des équipements avec des puces qui mesureront les chocs”, estime Patrice Péran. Et de citer les casques et les protège-dents du rugby professionnel, déjà augmentés avec de tels dispositifs.

Et pour le commun des mortels ? En dehors des avancées dans la prise en charge, certains experts se demandent s’il ne serait pas possible de trouver un médicament qui aiderait à se rétablir. Des chercheurs ont montré en 2021 que certaines protéines issues de plaquettes pourraient être utiles. Là encore, il s’agit de travaux toujours en cours. “Au moment du traumatisme, il apparaît bon d’avoir un petit apport en sucre. Et pendant la première semaine, des oméga 3. Mais ce ne sont pas des thérapies, c’est surtout pour éviter un manque et une aggravation”, précise Philippe Decq. De quoi aussi, aider à se calmer.

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