France – Maroc : et si leur entente passait par l’énergie ?

France – Maroc : et si leur entente passait par l’énergie ?

Après la “léthargie totale” entre Paris et Rabat, Hamza Hraoui ne s’attendait pas à ce que le dégel soit si rapide. Les sujets qui fâchent de part et d’autre de la Méditerranée sont connus, et nombreux : Sahara occidental, écoute Pegasus, affaire des visas, rapprochement avec l’Algérie… Mais ceux qui réunissent le sont encore plus, assure le cofondateur du cabinet d’influence MGH Partners. En octobre 2023, il avait entrepris une opération de réconciliation entre la France et le Maroc à l’Institut du monde arabe. Six tables rondes organisées sous sa houlette, en coordination avec l’Élysée et le Quai d’Orsay, avaient réuni historiens, diplomates et chefs d’entreprise. Il n’en fallait pas moins pour saisir les “relations denses et complexes” entre les deux Etats, comme le présentait l’événement. Un colloque jugé “remarquable” par Jack Lang, le président de l’Institut. Six mois plus tard, Hamza Hraoui savoure les récents signaux de rapprochement. “Le dialogue stratégique est nécessaire”, appuie-t-il. Et dans la recherche d’un agenda commun, il est persuadé que “l’énergie sera un axe de la relance”.

Le dossier est constamment évoqué lors du service après-vente des derniers échanges entre représentants des deux pays. Les intérêts réciproques sont évidents : le contexte géopolitique chaotique – guerre en Ukraine, à Gaza, auparavant pandémie de Covid-19 – a provoqué un électrochoc en Europe et en France, poussés à accélérer leur transition énergétique. De l’autre côté de la Méditerranée, “le Maroc, faute de ressources fossiles, cherche à se positionner comme un partenaire fiable sur les énergies alternatives et renouvelables”, analyse Brahim Oumansour, chercheur associé et directeur de l’Observatoire du Maghreb à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Le pays monte en puissance sur le solaire, secteur dans lequel il possède un des meilleurs potentiels au monde, et sur l’éolien. Selon les dernières projections du gouvernement, il atteindrait même, avant 2030, sa cible de 52 % du mix électrique venant des renouvelables.

“Pays ami et proche”

Grâce à ce gisement d’énergies propres, le Maroc rêve de se tailler une importante part du marché de l’hydrogène vert. L’ambition est poussée jusque dans les discours du roi Mohammed VI. Une étude du cabinet Deloitte parue l’été dernier confirme l’immense réservoir de la région : l’Afrique du nord pourrait exporter, à l’horizon 2050, jusqu’à 110 milliards de dollars par an, soit deux fois plus que l’Amérique du Nord. Au sein de la filière marocaine, les initiatives se multiplient. Riche en soleil et en vent, la région Guelmim Oued Noun, située au nord du Sahara occidental, a déjà annoncé la création de la “GON H2 Valley”, dédiée au développement de la chaîne de valeur de l’hydrogène vert et de ses dérivés. Plusieurs acteurs industriels et étatiques se positionnent, à l’image du Royaume-Uni avec Xlinks, ce projet fou d’interconnexions électriques sous-marines entre la région marocaine et le comté britannique du Devon – une infrastructure de 3 800 kilomètres de long reconnue “d’importance nationale” par Londres.

“Pour le Maroc, c’est une opportunité gigantesque de devenir indépendant pour son énergie”, estime Pierre-Etienne Franc, directeur général d’Hy24. Et le continent européen fait figure de débouché naturel. Paris doit saisir cette opportunité, considère le patron de la société d’investissement, puisque “la France ne pourra pas faire d’hydrogène compétitif pour tous ses usages uniquement avec des électrons issus du nucléaire. Il faudra aller en chercher dans des pays amis, proches et disposant de ressources compétitives.” La liste – hors Europe – est rapidement dressée : le Maroc arrive en tête. “Il possède la meilleure combinaison entre potentiel de renouvelables, stabilité politique, proximité géographique et tissu industriel. C’est le partenaire naturel que la France devrait aller chercher. Il est dans l’intérêt des deux pays de se parler et d’avancer sur ces sujets car ils vont tous deux y gagner, sur le plan économique et diplomatique”, résume Pierre-Etienne Franc.

Le poids diplomatique des phosphates

L’hydrogène vert pourra également être exploité localement dans la production d’engrais agricoles. Rabat, là encore, dispose d’atouts conséquents. Son sol renfermerait 70 % des réserves mondiales en phosphate, près 50 milliards de tonnes, selon l’Institut américain de géophysique. Ce composé, de plus en plus utilisé dans la fabrication de batteries électriques, sert de longue date pour la production des engrais potassés nécessaires à la fertilisation des cultures. Or la France en est très dépendante et les importe en quasi-intégralité des pays d’Afrique du Nord. L’Hexagone, “un colosse agricole aux pieds d’argile en l’absence de maîtrise de certains intrants stratégiques”, décrivait un rapport sénatorial en 2022. L’insécurité alimentaire notamment provoquée par l’invasion russe, le pays dirigé par Poutine étant lui aussi un gros producteur d’engrais, a obligé à repenser les approvisionnements… Ce qui fait le jeu du Maroc, très conscient du poids diplomatique de ses phosphates. Et surtout de l’Office chérifien du phosphate (OCP), la société publique détenant le monopole de l’exploitation, qui a engrangé des bénéfices records en 2021 et 2022. “La France pourrait bénéficier de la stabilité de ces ressources”, même si elles ne sont pas inépuisables, confirme Brahim Oumansour.

La richesse du royaume en roche phosphatée a également fait ressurgir, l’été dernier, une vieille idée : la production d’uranium. Dans une note, le Middle East Institute, un groupe de réflexion américain, assure que le Maroc possède “environ 6,9 millions de tonnes d’uranium, soit la plus grande quantité disponible au monde”. Rabat, pour l’heure, n’a pas fait de pas dans cette direction… Mais investit tout de même le champ du nucléaire, qui réalise un come-back au niveau mondial. Le Maroc envisage le développement, avec les Russes de Rosatom, d’unités de dessalement nucléaire pour lutter contre la pénurie d’eau dont le pays est victime. Pourrait-il aussi bientôt utiliser l’atome pour produire de l’énergie ? C’est une piste ouverte par Rafael Grossi, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), lors du dernier Salon international du nucléaire civil à Paris. “Le Maroc, l’Egypte ou encore l’Arabie saoudite y pensent”, confirme Hamza Hraoui, de MGH Partners. De quoi aiguiser l’appétit des acteurs tricolores du secteur. “La France, avec son savoir-faire, pourrait développer des partenariats importants”, avance le directeur de l’Observatoire du Maghreb. La concurrence serait féroce car d’autres puissances, à l’image de Moscou, sont déjà sur les rangs.

“Le Maroc est une porte d’entrée vers l’Afrique, un continent en ébullition et courtisé par plusieurs pays. La France a tout intérêt à renforcer ses liens avec lui”, poursuit Brahim Oumansour. Les récents signes de rapprochement prouvent que “Paris a compris que le Maroc est une puissance régionale qui compte”, approuve Hamza Hraoui. Le pays est devenu un lieu de relocalisation de l’industrie européenne et française. Il est également stratégique en termes de transition énergétique et de sécurité alimentaire. Le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire devrait, sauf surprise, se déplacer au royaume fin avril pour des rencontres économiques de haut niveau. L’objectif : renforcer la coopération entre les deux pays… Et évoquer toutes les bonnes raisons pour ne pas se (re) fâcher avec le Maroc.

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