Gaz et électricité : “La hausse des taxes va se poursuivre plusieurs années”

Gaz et électricité : “La hausse des taxes va se poursuivre plusieurs années”

Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, le bilan reste contrasté sur les marchés de l’énergie. D’un côté, la folie des prix s’est calmée. Les flambées historiques que l’on avait connues entre les mois de février et juin 2022 ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Cependant, les usagers profitent assez peu de l’accalmie car les taxes repartent à la hausse. Parallèlement, les risques géopolitiques pourraient se traduire par des tensions supplémentaires. Autre difficulté, l’Europe semble avoir trop investi dans des infrastructures servant à acheminer le gaz naturel liquéfié (GNL) venant de Norvège ou des Etats-Unis. Certes, il fallait bien se défaire de la dépendance du gaz russe. Mais les surcapacités grandissantes du Vieux Continent risquent de coûter cher, avertit Edouard Lotz, analyste marché et énergie au sein du cabinet de conseil Omnegy.

L’Express : Les taxes sur l’électricité repartent à la hausse. Pour le gaz aussi, la facture grimpe. Est-ce le début d’une tendance durable ?

Edouard Lotz : Effectivement, le renchérissement du gaz n’a pas été très médiatisé. La taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) a pourtant doublé, passant de 8,40 euros par mégawattheure à plus de 16 euros. Pourquoi un tel rebond ? Il faut savoir qu’en raison de la crise de 2022 et de la flambée des prix qui a suivi, de nombreux consommateurs ont délaissé le gaz pour l’électricité. Résultat : le réseau de gaz compte moins d’utilisateurs pour financer les coûts de maintenance. C’est pour cette raison que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a relevé son prix repère, sur lequel se basent les fournisseurs. Deuxième raison expliquant la hausse des taxes, l’Etat a pris à sa charge de nombreuses dépenses depuis le Covid avec le bouclier tarifaire. L’heure est donc désormais aux économies de coûts ainsi qu’à la recherche de nouvelles recettes. La période s’y prête d’autant plus que les prix de l’énergie ont nettement diminué depuis 4 ou 5 mois. Les consommateurs peuvent donc absorber plus facilement le coût supplémentaire induit par la hausse des taxes.

Du côté de l’électricité, la même logique prévaut. La taxe intérieure de consommation portant sur l’électricité (TICFE) est revenue à son niveau d’avant crise, aux environs de 22,50 euros par mégawattheure, après avoir été abaissée entre 50 centimes et 1 euro au moment où les tensions sur les prix étaient les plus fortes. Le problème pour les consommateurs ? Ce rééquilibrage va se poursuivre. Une facture classique se décompose en trois blocs : le premier concerne le prix de l’électron, le second l’acheminement de l’énergie et le troisième les taxes. Aujourd’hui, le coût indiqué dans le premier bloc est plutôt orienté à la baisse. A l’inverse, celui des deux autres augmente. Cette configuration devrait perdurer au cours des deux ou trois prochaines années.

Quid des risques géopolitiques ? Dans quelle mesure peuvent-ils perturber les marchés ?

Les menaces se multiplient. La Russie fournit encore 15 % des besoins européens en gaz. Il suffirait que la situation internationale s’envenime, à la suite de nouvelles sanctions économiques à l’encontre de Moscou, ou à un sabotage de pipeline en mer Baltique, pour que les marchés se tendent à nouveau. En mer Rouge, nous pouvons voir que beaucoup de méthaniers et de tankers évitent de passer par le canal de Suez. Ils préfèrent le cap de Bonne-Espérance, malgré l’allongement de la durée du voyage et donc une hausse des coûts de transport. Enfin, l’administration Biden mène en ce moment même un grand audit de sa filière GNL, ce qui pourrait se traduire par le ralentissement ou l’arrêt de la construction de nouveaux terminaux prévus en Europe. A horizon 2026, nous pourrions donc constater une nouvelle hausse sur les marchés gaziers en raison d’une capacité d’offre diminuée.

Bien sûr, la baisse de l’appétit des utilisateurs de gaz en Europe (-20 % par rapport à 2021) nous laisse quelques marges de manœuvre. Mais pas énormément. Il y a quelques mois, une simple grève sur un site de production en Australie a suffi pour entraîner un rebond des prix. Et pour cause : il existe une compétition internationale pour la même ressource. Si, par exemple, le gaz australien devient moins disponible pour l’Asie, celle-ci se reporte vers d’autres pays fournisseurs qui livrent habituellement le gaz à l’Europe. Cela provoque alors une hausse des prix sur le Vieux Continent. Nous devons donc encore faire preuve de vigilance cette année. Car le moindre souci ou événement imprévu pourrait dérégler les marchés.

Autre point important, les risques géopolitiques que nous venons de citer s’appliquent aussi au marché de l’électricité. En effet, la moindre hausse des prix du gaz augmente automatiquement le coût de production des centrales qui le produisent. Or celui-ci sert de référence pour le prix de gros de l’électricité au sein de l’UE car le système appelle d’abord les unités de production aux coûts d’exploitation les plus faibles – renouvelables et nucléaires –, puis en dernier lieu, les centrales aux coûts les plus élevés, en l’occurrence celles fonctionnant au gaz et au charbon. Les conflits qui menacent les prix du gaz menacent donc aussi ceux de l’électricité.

En voulant se débarrasser de sa dépendance au gaz russe, l’Europe n’a-t-elle pas trop investi dans le GNL ?

Effectivement, les chiffres le montrent. Depuis février 2022, huit projets de regazéification du GNL ont été construits en Europe, ajoutant 53,5 bcm – milliards de m3 – de capacité, soit un bond de 257 à 310 bcm. Or, la demande en GNL du continent européen devrait atteindre un pic à 169 bcm en 2025, avant de diminuer progressivement les années suivantes. Nous avons donc une situation dans laquelle l’Europe poursuit la construction d’infrastructures d’importations, alors même que celles-ci surpassent largement les besoins.

Nous en voyons déjà les effets sur le taux moyen d’utilisation des terminaux européens, celui-ci affichait 59 % en 2023 contre 63 % en 2022. Ce taux devrait encore se dégrader dans le futur, à mesure que les capacités d’importation vont augmenter et que la demande de GNL décroîtra. Il pourrait descendre aux alentours de 30 à 35 % à l’horizon 2030, laissant ainsi hors d’usage une vaste majorité des infrastructures de traitement du gaz. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de dire que le GNL est un mauvais choix. Confrontée à la crise de l’énergie, l’Europe a cherché en urgence des solutions alternatives et la première qui a émergé, c’était de construire un réseau robuste pour ce type de gaz. Simplement, la facture promet d’être salée car en la matière, nous avons visiblement vu trop grand.

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