Mort de Michel Jazy : sa “tristesse irrémédiable” aux JO 1964 racontée par Philippe Delerm

Mort de Michel Jazy : sa “tristesse irrémédiable” aux JO 1964 racontée par Philippe Delerm

Star de l’athlétisme français dans les années 1960, le demi-fondeur Michel Jazy est décédé ce jeudi 1er février à l’âge de 87 ans. Double champion d’Europe, vice-champion olympique sur 1500 mètres en 1960, Michel Jazy a détenu neuf records du monde en demi-fond pendant sa carrière et ses exploits avaient suscité un immense engouement populaire. Vedette du sport français à l’époque, au côté du cycliste Jacques Anquetil, il a brillé du 800 au 5000 mètres.

Dans un article publié par L’Express le 9 janvier dernier, l’écrivain Philippe Delerm se souvenait des Jeux de Tokyo en 1964 et de la défaite de Michel Jazy, le grand favori. De sa “tristesse irrémédiable”. “On n’aimait pas forcément les vainqueurs, cette année-là. On aimait Raymond Poulidor, battu de justesse dans le Tour de France. On aimait Christine Caron. On aimait Michel Jazy”, écrit-il.

“On aimait la tristesse

1964. L’année de mes 13 ans. La première année de ma passion pour le sport. L’année des JO de Tokyo. L’année de la mélancolie. L’année Jazy. C’est peu dire qu’on les attendait, ces Jeux de l’empire du Soleil-Levant. Toute l’année, toutes ces couvertures. Les magazines sportifs, bien sûr. Mais aussi celles de Paris Match. Et deux vedettes incontestées : Kiki Caron, Michel Jazy. Christine Caron, la toute fraîche adolescente – mais à l’époque, les nageurs étaient souvent adolescents. Et pour Jazy, l’âge de la maturité, la victoire presque promise dans le 5 000 mètres. Devancée par Kathy Ferguson, qui battit le record du monde du 100 mètres dos, Christine aura un geste magnifique. Sur le podium, levant la tête, elle verra que sa rivale pleurait d’émotion pendant l’hymne américain. Et elle lui prit la main, comme pour la consoler de l’avoir battue.

Lors de cette course à Melun le 24 juin 1965, Michel Jazy battit deux records du monde, celui des deux miles (8’22″6/10) et au passage celui du 3000 (7’49”). Il mène ici devant l’Australien Ron Clarke.

Il nous restait Jazy. Jazy à la radio, car la télévision ne retransmettait pas des épreuves disputées avec un tel décalage horaire. Jazy sur le petit poste à transistor bleu et blanc que j’avais reçu à Noël. Il pleuvait à Tokyo ce matin-là. De quoi crisper un peu l’espoir, car la belle foulée si élégante et longue de Michel Jazy allait mal s’accommoder d’une cendrée trop lourde. Se sentait-il trop fort, avait-il un peu peur ? Quand il attaque juste après la cloche, à près d’un tour de l’arrivée, on partage bien sûr l’excitation du speaker, mais on se dit en même temps que c’est beaucoup trop tôt. C’est bien trop tôt. A l’entrée de la dernière ligne droite, l’Américain Bob Schul le dépasse, puis l’Allemand Norpoth, et même le deuxième Américain Dilinger. Mais on sent que le champion français a renoncé. Il voulait seulement la victoire.

Il n’y avait pas de championnats du monde. Le seul titre mondial en athlétisme, c’était les JO. C’est long, quatre ans. Certes, en 1965, Jazy battra tous les records, et tous ses adversaires. Mais sa tristesse de Tokyo est irrémédiable. Il y a cette photo où il est prostré, les deux bras appuyés sur une barrière métallique. J’aurai du mal à convaincre mon éditeur que c’est bien cette photo-là que je souhaitais, en couverture de mon album sur les beaux moments du sport. Jazy n’est pas seul sur cette photo. On n’aimait pas forcément les vainqueurs, cette année-là. On aimait Raymond Poulidor, battu de justesse dans le Tour de France. On aimait Christine Caron. On aimait Michel Jazy. On aimait la tristesse.

Tiré de Je me souviens de… la foulée de Pérec (et autres madeleines sportives), dirigé par Benoît Heimermann. Seuil, 226 p., 19,90 €.

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