Napoléon : Jean-Marie Rouart plus fort que Ridley Scott

Napoléon : Jean-Marie Rouart plus fort que Ridley Scott

Tous les octogénaires ne se valent pas. Parmi les nombreuses aberrations relevées dans le nullissime Napoléon de Ridley Scott (86 ans), on trouvait notamment celle-ci : l’empereur déchu aurait fui l’île d’Elbe le 26 février 1815 par amour pour son ex-épouse Joséphine, qu’il souhaitait retrouver. Théorie émouvante qui ne tient pas quand on sait que cette dernière était morte presque un an plus tôt, le 29 mai 1814. Bien que nous n’ayons pas la légitimité de Jean Tulard, rappelons la vérité historique : lors de son exil, Napoléon était marié avec Marie-Louise, restée en France, et en pinçait toujours pour Marie Walewska, qui était brièvement venue lui rendre visite sur l’île avec Alexandre, leur fils naturel. Mais cette amante polonaise n’est pas le sujet de La Maîtresse italienne, où Jean-Marie Rouart (80 ans), au meilleur de sa forme, raconte l’histoire d’une femme bien moins connue mais bien plus décisive…

La sœur préférée de Napoléon, Pauline Bonaparte, l’affirmait : “Si le nez de la comtesse Miniaci avait été plus long, le sort du monde eût été changé.” La comtesse Miniaci ? Sa beauté était alors proverbiale en Toscane, des bals de Lucques à sa maison de Florence. On lui prêtait des aventures avec le prince Orsini ou Hyde de Neuville. En 1814, elle tourne la tête d’un troisième larron : le colonel Campbell. Problème pour Campbell : il n’est pas censé conter fleurette à des jeunes femmes mais serrer de près le grand proscrit. Son manque de vigilance pourrait coûter cher aux alliés, réunis au congrès de Vienne. Dès qu’il le peut, le colonel anglais relâche pourtant sa surveillance de la Palazzina dei Mulini et de la baie de Portoferraio pour retrouver la comtesse à Florence…

Dans un livre vif et enlevé, serré comme un café italien ou un roman de Morand, Rouart raconte cette page méconnue de l’histoire impériale, qui selon lui a rendu possible la fuite de Napoléon et donc l’épopée des Cent-Jours. Il brosse des portraits impeccables de Napoléon, Louis XVIII, Talleyrand et Murat, mais aussi des personnages secondaires, dont Mariotti, Charles de Flahaut ou l’ancien chouan Louis Guérin de Bruslart. Si le sujet a deux siècles, la narration est très moderne : Rouart enchaîne des chapitres courts en changeant de décor à chaque fois, nous faisant voyager de l’île d’Elbe (magnifiquement peinte) à Vienne et à Paris. Des intrigues se nouent partout. On se croirait tour à tour chez Stendhal pour la vitesse, Dumas pour l’aventure et Benjamin Constant pour les intermittences du cœur – des références qui font un bien fou quand on vient de lire le dernier Marie Darrieussecq.

Rouart rend Napoléon vivant

Il y a dix ans, lors de la parution de Ne pars pas avant moi, son livre sur Jean d’Ormesson, Rouart s’était fait flinguer dans Le Monde des livres par Eric Chevillard, alors feuilletoniste là-bas. L’angle (paresseux) de sa descente était le suivant : un académicien ne peut écrire que de façon académique – suivaient des railleries sur le style de Rouart. On conseille à Chevillard, romancier pseudo avant-gardiste publié aux éditions de Minuit, de revoir son jugement : il y a plus de souffle et d’inventivité dans La Maîtresse italienne que dans ses petites fictions formalistes à lui. L’école Minuit est académique à sa manière, vieillotte et caricaturale, alors que l’Académie française compte dans ses rangs des auteurs différents, et pour certains singuliers. En prenant la défense d’Omar Raddad en 1994, Rouart s’était pris pour Voltaire et Zola – pas vraiment ce qu’on attend de la part d’un écrivain dit de droite.

Plus récemment, lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, l’académicien a publié dans Le Figaro une tribune cinglante, très drôle et justement argumentée contre Emmanuel Macron, laquelle se terminait ainsi : “Belle initiative, digne de Tartuffe, de mettre la langue française dans un musée pour ne pas avoir à se préoccuper de sa lente destruction à laquelle on a soi-même participé.” Rouart tonnait avec des airs à la Chateaubriand contre notre président friand du franglais. Sa démarche est ici contraire à celle de Villers-Cotterêts : il sort une figure patrimoniale du musée et rend Napoléon vivant, tout en montrant que le classicisme français, remis au goût du jour, peut encore être pertinent esthétiquement. Il n’y a pas d’âge quand on est écrivain, et La Maîtresse italienne fait montre d’un panache digne d’une jeune recrue de la Grande Armée. “Epatant”, aurait dit Jean d’O.

La Maîtresse italienne, par Jean-Marie Rouart. Gallimard, 170 p., 19 €.

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