Pour régler la crise des urgences, moins d’audits, plus de managers !, par Mathias Wargon

Pour régler la crise des urgences, moins d’audits, plus de managers !, par Mathias Wargon

Nos urgences vont mal. Ce n’est pas une nouveauté, c’est même un marronnier journalistique que l’on ressort à l’occasion d’une grève, d’une fermeture ou d’un incident grave. Derniers recours dans un paysage médical qui se désertifie, l’effondrement s’accélère.

Ces dernières années, on a vu l’impensable arriver : fermetures d’urgences pendant de longues durées au pire, des régulations par le 15 au mieux, pour décider qui va y entrer ou pas – du travail de videur de boîte de nuit plutôt que du tri médical. Du jamais vu et surtout un état de fait incroyable pour ceux-là mêmes qui quelques années auparavant se vantaient de pouvoir accueillir tout le monde aux urgences (j’en ai fait partie). C’est une situation inacceptable pour les patients mais également pour les autres professionnels de santé chargés d’y pallier. Alors chacun y va de sa proposition plus ou moins pragmatique pour “désengorger”, promesse faite par le président de la République et à laquelle personne ne croit.

Comme tous bons élèves qui ont appris la leçon, on sait que la problématique vient de l’amont (les patients qui rentrent aux urgences) et de l’aval (ceux qui en sortent vers l’hôpital ou une autre structure). Pour l’amont, on a créé le service d’accès aux soins, le fameux SAS qui consiste à faire le 15 pour être orienter au mieux et éviter le passage aux urgences. Il n’est pour l’instant pas pleinement efficace et s’il rend service, le manque de médecins de ville ou l’accès direct à d’autres professionnels de santé restent des obstacles à son déploiement et à son utilisation. Sa mise en place est progressive mais il reste difficile d’évaluer son efficacité directe sur les urgences, car son utilisation n’est pas obligatoire et il n’empêche pas d’aller aux urgences si le patient le décide. On voit également la création de multiples centres de soins non programmés qui prennent en charge les patients les moins graves. Mais ces centres hétéroclites – dont certains misent plus sur le consumérisme médical que sur le parcours de soins – n’ont pas montré non plus leur influence sur une baisse de la fréquentation des services d’accueil des urgences.

Des audits qui coûtent des fortunes aux hôpitaux

Pour l’aval, on voit la mise en place d’outils de reporting vers les Agences régionales de santé et le ministère, censés obliger les hôpitaux à réaliser des objectifs organisationnels. Il s’agit de vérifier que les hôpitaux appliquent un schéma organisationnel d’aval, comme le fameux “bed manager” (gestionnaire de lit, ça fait moins anglo-saxon et un peu plus manches de lustrines). En réalité, selon les établissements, on aura, sous un même vocable, soit une équipe dédiée à l’hospitalisation et à la régulation des hospitalisations programmées ou en urgence dépendant de la direction générale, soit une secrétaire médicale des urgences qui appellera ses collègues des services d’hospitalisation pour s’entendre dire qu’il n’y a aucun lit de disponible. On peut dire la même chose des contrats ville hôpital, des hospitalisations indépendantes de la spécialité (hébergement), du nombre de lits à prévoir etc. La liste est longue, tout le monde hospitalier la connaît. Le reporting donne l’impression d’un contrôle. Il permet souvent de “faire semblant”. Cela ne règle pas les problèmes même quand on insiste dessus. On remarquera que la campagne lancée par un syndicat d’urgentistes pour compter les morts inattendues dans les services a abouti à rendre responsables systématiquement les équipes qui s’occupaient de ces patients plutôt qu’interroger un système.

Malgré tout, on ne peut pas dire qu’on ne s’intéresse pas au fonctionnement des urgences elles-mêmes ou à leurs relations avec leur environnement. Chaque année, des dizaines d’audits sont réalisés pour savoir ce qui ne va pas aux urgences. Ces audits menés par des cabinets de conseil coûtent une fortune aux hôpitaux. Certains travaillent avec des urgentistes (comment ne pas penser à la société savante de médecine d’urgence elle-même qui propose ce genre de services !), d’autres pas. Ces audits permettent de dire que l’ensemble des acteurs s’est intéressé sérieusement au problème des urgences, parfois en embauchant une star des urgences. On se souvient que récemment un hôpital de région s’est vanté d’avoir pris comme conseil un célèbre spécialiste du Samu, qui n’avait jamais mis les pieds dans un service d’urgence.

Une task force de professionnels reconnus

Comme d’autres médecins urgentistes, il m’arrive de participer à un audit. Je découvre souvent que j’arrive après une liste déjà longue d’auditeurs, urgentistes ou pas. Et je constate souvent la même chose que les auditeurs précédents, sans que rien n’ait finalement vraiment changé, parfois avec des situations complètement baroques qui pourraient prêter à rire si leurs conséquences n’étaient pas si graves. En général, une partie des solutions sont connues de tous et s’avèrent surtout être les mêmes d’un centre à l’autre.

Mais même si on décèle les problèmes, comment l’équipe va-t-elle mettre en place le changement ? Il est parfois proposé un accompagnement qui va momentanément améliorer les choses et surtout coûter à l’hôpital sans engager sur le long terme. Mettons-nous à la place d’un directeur ou d’un médecin président de commission médicale d’établissement élu par ses pairs. Que préfère-t-il ? Avoir le service d’urgence à dos, ou tous les autres services parfois tenus par des patrons puissants ? Qu’il s’agisse du simple petit hôpital général ou du grand centre hospitalier universitaire, combien ont des services d’urgences à l’organisation obsolète, ou désorganisés par un nombre incroyable de patients en attente de lits ? Combien ont des chefs de service d’urgence capables de résister longtemps à la pression ?

Pourtant, certains services fonctionnent mieux que d’autres. Ce n’est pas un secret de dire que c’est généralement dû aux managers, qui ont su à la fois organiser leur service mais aussi réguler les relations avec le reste de l’hôpital. Ces professionnels sont connus et reconnus par leurs pairs.

Je propose de faire une task force de ces professionnels, médecins ou cadres infirmiers reconnus. Ils possèdent une expertise spécifique dans la gestion des services d’urgence, connaissent parfaitement les réalités du travail de chef de service et des relations avec le reste de l’hôpital, les processus internes, les flux de patients et les interactions interservices. Ils jouissent d’une crédibilité auprès des équipes médicales et administratives des autres services d’urgence. Ils sont capables d’indiquer concrètement ce qui doit être fait.

Envoyer des professionnels de l’urgence inspecter et faire des propositions avec une légitimité institutionnelle offrira une approche pragmatique et efficace pour identifier les problèmes et mettre en œuvre des améliorations significatives. Que cette équipe d’intervention managériale se rende dans les services qui vont le moins bien, fasse un diagnostic et propose un traitement, pas un énième rapport qui finira avec les autres dans un tiroir. Et qu’elle revienne quelques mois plus tard pour voir ce qui a été mis en place ou pas et quelles difficultés ont été rencontrées.

Il faudra alors aussi rendre l’hôpital responsable des changements – ou de leur absence. On ne peut plus accepter l’inacceptable. Ce ne doit pas non plus être un processus punitif, car cette démarche permettra aussi que des intervenants neutres puissent pointer du doigt qu’une fois les organisations remises en ordre, certains hôpitaux ne peuvent plus assurer leur mission de service public et qu’il sera nécessaire de les aider vraiment. Le désengorgement ne doit plus être un refrain politique ou un marché, mais un objectif en soi, qui doit commencer par les urgences elles-mêmes.

* Mathias Wargon est chef de service Urgences – SMUR au centre hospitalier de Saint-Denis (93).

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