Pourquoi il est grand temps de mieux rémunérer les managers

Pourquoi il est grand temps de mieux rémunérer les managers

Chef un jour, chef toujours. A l’école, on le voit dans la cour dominant les autres, chef de bande, parfois flic, parfois voyou, en mode Belmondo, à qui rien ne résiste. Jamais loser, il monte sa propre structure quand il déborde d’idées. Quand il ne devient pas patron, le manager s’impose dans la hiérarchie avec le sourire ou le hurlement – il y en a des toxiques – pour faire tourner l’entreprise d’un autre. Premier arrivé, dernier parti, comme à la maison : premier levé, dernier couché. C’est forcément à lui qu’on demande si deux couleurs s’assortissent, sa théorie sur les véhicules polluants et ce qu’il a pensé du dernier ouvrage polémique. Un winner qui fait avec deux brindilles un feu de joie. “Pendant la guerre contre les Indiens/Il combattit tout seul contre vingt/Ayant une flèche plantée dans une main/Il l’arracha avec son autre main/Davy, Davy Crockett, l’homme qui n’a jamais mal”, chantait Annie Cordy. A force de restructurations et d’évolutions, le chef d’orchestre doit souvent jouer seul de ses instruments. Homme-orchestre. Et quand il n’a plus de Stradivarius ou de Gibson, son dirigeant lui demande de chanter a cappella. Juste et sans fausse note. Alors il pense à partir.

“Au sein même de l’entreprise, trois forces internes ont tendance à s’opposer : les actionnaires qui la financent, les clients qui la font vivre, et les talents qui la composent. Chaque partie a ses attentes, ses exigences, et exerce son pouvoir”, analyse Pierre Calmard, qui dirige depuis 2020 Dentsu France (L’entreprise harmonieuse. Une méthode pour redonner du sens à sa vie professionnelle, Editions Eyrolles, 2023).

Au centre du triangle, le manager est le rouage majeur qui compose avec tous et distribue les tâches en amont et en live. C’est son premier métier de prendre les ordres et son deuxième de les faire exécuter, de les comprendre et de les transmettre. Organiser le travail des autres, le contrôler, assister, aider, former, coacher, cela fait six missions supplémentaires. Le manager “métier” est aussi remplaçant quand il met “les mains dans le cambouis” ou professeur quand il cherche l’erreur dans le rapport. On est à dix métiers. Psychologue et chef du bureau des pleurs, il est l’acrobate qui jongle avec des demandes contradictoires, mais il est aussi polyglotte avec la DSI et l’actionnaire, champion du monde du rapport rendu sur le fil et lutteur avec ses pairs pour défendre un dossier. Créateur. Quinze postes en un seul : avant tout, le manager est un débrouillard qui fait beaucoup avec peu. Transposée à l’entreprise, c’est la “fonction parent” capable de faire réciter la leçon en vérifiant le carnet de notes, tout en posant trois questions sur le repas du midi et repérer que les sneakers sont trop justes.

Dans l’entreprise, on ajoute la fonction RH pour trouver le mathématicien qui chiffre le projet, le communicant qui le vend, le juriste qui empêche la catastrophe et le prévisionniste/météorologue business qui suggère la suite à l’oreille du patron. Où est le chef à la papa, macho boomer, les pieds sur le bureau qui commande ? Le manager du XXIe siècle fait au moins vingt jobs. Sans compter les fameux soft-skills.

D’importantes économies d’échelle

A combien se monterait le vrai coût du manager si l’on additionnait toutes ses tâches même sur quelques minutes ? 1 000 euros hors taxe de l’heure pour un avocat senior, c’est 16,60 euros la minute. Un de ses métiers en moins et l’édifice tremble ; on lui retire ses missions (sans les confier à un autre) et l’organisation s’écroule. Si l’employeur raisonnait en analytique, le salaire du manager exploserait. Il a appris l’ubiquité avec le distanciel et le présentiel : +153 % de réunions par semaine à l’échelle mondiale pour l’utilisateur moyen de Teams depuis le début de la pandémie. Il comprime le temps en produisant l’énergie de la masse salariale : Einstein l’avait vu autrement. Résultat : à bloc en permanence, 53 % des managers se disent épuisés au travail (Work Trend Index Special Report, Microsoft, septembre 2022) et c’est plus compliqué qu’avant pour 40 % de ces hyperactifs (Climat social- Baromètre Cegos 2020).

Enfin, si 40 % des cadres aspirent à manager, en un an ce rêve perd 7 points chez les moins de 35 ans et 5 points chez les 35-54 ans (Apec, novembre 2023). Expert, c’est plus tranquille et mieux payé que “manager à tout faire”. Pour les retenir, ne plus ajouter des tâches et surtout, monter leur salaire. Comme les autres salariés, c’est leur critère n° 1 dans le choix de rejoindre une entreprise plutôt qu’une autre (enquête de Robert Half, “ce que veulent les candidats”, avril 2023).

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