Quand la langue française déclinait vraiment

Quand la langue française déclinait vraiment

Je vous le dis comme je le pense : nous, francophones de 2024, ne connaissons pas notre bonheur ! Car si nous étions nés quelques siècles plus tôt, nous aurions dû, sur les bancs de l’école, nous farcir des déclinaisons en français. Comme en latin ? Oui, comme en latin, à ceci près que l’ancien français n’avait pas six “cas” au singulier et autant au pluriel comme notre langue-mère (souvenez-vous de la chanson de Brel : “Rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa…”), mais deux. Certes, c’est trois fois moins, mais cela représente tout de même le double de un (ce qui prouve au passage que, quoique littéraire, je suis également très bon en maths).

VOUS SOUHAITEZ RECEVOIR CHAQUE SEMAINE CETTE LETTRE D’INFORMATION ? >> Cliquez ici

Loin de moi l’idée de vous infliger une assommante leçon de grammaire, mais rappelons tout de même qu’avec les déclinaisons, la forme des mots change selon leur fonction. Prenons un exemple nous ramenant au temps de l’ancien français (du IXe au XIIIe siècle, pour simplifier). Dans la phrase “Charles est le roi”, Charles est le sujet : il fallait écrire “Carles est li rois” (on parle logiquement de “cas sujet”). Mais dans la phrase “je vois Charles”, Charles est complément d’objet direct. Il fallait donc employer “je vois Carlon” (c’est le “cas régime”). Aujourd’hui, le brave “Charles” garde la même forme quelle que soit sa fonction dans la phrase. Il n’y a plus de déclinaisons. De profundis…

Nuançons. Si lesdites déclinaisons ont disparu, il nous en reste néanmoins quelques traces. Nos pronoms personnels, par exemple, ont conservé les deux formes du temps jadis. Je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles ? Voilà les anciens “cas sujet”. Me, te, se, le, la, nous, vous, les ? Voilà les anciens “cas régime”. Il en va de même pour les pronoms relatifs. Dans la question “Qui passe devant chez moi ?”, “qui” est l’ancien “cas sujet”. Alors que dans la phrase “Cette fille que je vois passer devant chez moi”, “que” est l’ancien cas régime.

De là viennent aussi les deux apparences de “vieux” (cas sujet), utilisé généralement devant une consonne (un vieux village) et de “vieil” (cas régime), employé généralement devant une voyelle ou un h muet (un vieil ami, un vieil homme). Dans d’autres circonstances, il y a eu spécialisation entre l’ancien cas sujet et l’ancien cas régime, qui ont souvent pris deux sens différents : chantre/chanteur ; gars/garçon ; pâtre/pasteur ; sire/seigneur et même – que les yeux les plus chastes passent directement au paragraphe suivant – pute/putain.

Sachez enfin qu’il existait parfois de nettes distinctions d’aspect entre le pluriel et le singulier. Nous n’y prenons plus garde, mais, a priori, il n’y a aucune raison pour qu’un “œil” ajouté à un autre “œil” aboutisse à deux “yeux”. Sauf à savoir qu’”œil” et “yeux” correspondent respectivement aux antiques cas régime singulier et cas régime pluriel (car pour ne rien arranger, les formes des mots variaient aussi selon le nombre).

C’est au temps du moyen français (XIVe-XVe siècle) que les déclinaisons ont fini par sombrer. Depuis, les mots ne se présentent plus que sous une seule apparence. Dans de rares situations, le cas sujet l’a emporté : “prêtre”, par exemple, (anciennement prestre) a fait disparaître prevoire. Mais, en règle générale, la victoire est allée au cas régime, qui se rencontrait le plus fréquemment. “Baron” a ainsi supplanté ber ; “larron”, lerre ; “neveu”, niés, “enfant”, enfes ; “glouton”, glout… A défaut, nous pourrions dire “quel glout, cet enfes” !

Je laisse toutefois aux mânes de Raymond Devos le soin de décider si une langue qui ne décline plus après avoir décliné est ou non en déclin.

RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR ma chaîne YouTube

À LIRE AILLEURS

Les contradictions québécoises de Gabriel Attal

« Le français, c’est notre singularité, quand l’uniformité linguistique serait un affaiblissement, un appauvrissement », a déclaré Gabriel Attal le 11 avril lors de sa visite au Québec, province du Canada où notre langue a le statut de langue officielle. Avant d’ajouter : « Vous pouvez compter sur la France pour vous y aider, vous accompagner, pour promouvoir la langue française au Québec. » Une ode à la diversité culturelle que l’on ne pourrait qu’applaudir si elle n’était en totale contradiction avec les décisions du Premier ministre en France. Gabriel Attal refuse en effet d’accorder le statut de langue co-officielle au corse comme au créole martiniquais. Ce qui encourage dans les faits « l’uniformité linguistique » qu’il prétend combattre…

Langues régionales au brevet : 18 parlementaires interpellent la ministre

Etudier les langues régionales, oui. Passer des épreuves du brevet en langue régionale, non. C’est cette attitude un brin contradictoire du ministère de l’Education nationale que dénoncent une vingtaine de parlementaires dans un courrier adressé à Nicole Belloubet.

Prénom Fañch : le Bulletin officiel hors la loi ?

Surprise ! Dans un Bulletin officiel listant les œuvres au programme de terminale en langues régionales, figurent les auteurs Fañch Eliès Abeozen et Fañch Al Lay. Or, le prénom Fañch a été déclaré contraire à la Loi fondamentale par le Conseil constitutionnel. Une nouvelle preuve par l’absurde des ambiguïtés de l’Etat en matière de respect de la diversité culturelle.

Aveyron : le festival Nov Estivada continuera de faire vivre les cultures d’oc

Le festival de culture occitane se tiendra les 26 et 27 juillet à Sébazac-Concourès (Aveyron). Une performance due à la mobilisation de l’association “La Gardarem” qui avait décidé de le reprendre en main, après l’arrêt d’Estivada, le festival historique qui se tenait à Rodez.

Et si vous appreniez le savoyard ?

L’institut de la langue savoyarde propose des cours (en ligne) pour apprendre le savoyard (variante du franco-provençal, ou arpitan). Inscrivez-vous pour connaître la date des prochaines sessions.

Découvrez le dernier numéro du Boutillon des Charentes

Le dernier numéro de ce journal des Charentais est disponible gratuitement en ligne. Il comprend notamment des textes sur la culture saintongeaise.

“L’ancien français transcrivait généralement les mots de façon phonétique”

Gilles Siouffi, professeur en langue française à la Sorbonne, connaît parfaitement l’histoire de l’orthographe française. Fort de son expérience, il plaide aujourd’hui pour son “amélioration” avec la suppression des doubles consonnes, des pluriels en -x et la simplification de l’accord du participe passé avec avoir.

Un directeur anglophone à Villers-Cotterêts ?

Telle est en tout cas la compétence requise dans la fiche de poste du futur directeur du Centre européen des technologies des langues, qui devrait s’implanter dans la toute nouvelle Cité de la langue française de Villers-Cotterêts. Un symbole fâcheux en apparence qui a immédiatement provoqué la colère de plusieurs associations de défense du français. A noter toutefois qu’il s’agit d’un projet regroupant 20 pays européens, lesquels ont posé cette exigence par 19 voix contre une (celle de la France). Et que le règlement intérieur, qui n’est pas encore écrit, devrait prévoir pour ce nouveau centre un fonctionnement multilingue.

Un nouveau site web pour l’Ecole des chartes

L’Ecole nationale des chartes vient de dévoiler son nouveau site web. Celui-ci propose notamment une frise chronologique sur l’histoire de l’établissement, une définition de ses disciplines, une page dédiée à ses ressources, un catalogue de ses projets de recherche ainsi qu’un accès permettant de trouver les thèses de l’école et de soumettre une demande de transcription.

À REGARDER

Une hilarante leçon de linguistique marseillaise

Mais oui, on peut découvrir les caractéristiques du parler marseillais de manière plaisante et intelligente. La preuve avec cette formidable “masterclass de parler marseillais”, animée par le linguiste Médéric Gasquet-Cyrus et le duo de créateurs de vidéos parodiques Les Jobastres.

RÉAGISSEZ, DÉBATTEZ ET TROUVEZ PLUS D’INFOS SUR LES LANGUES DE FRANCE SUR la page Facebook dédiée à cette lettre d’information.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *