Soupçons, jalousie, manœuvres : le duo Macron-Attal à l’épreuve du pouvoir

Soupçons, jalousie, manœuvres : le duo Macron-Attal à l’épreuve du pouvoir

La maison brûle, Emmanuel Macron et Gabriel Attal ne peuvent plus regarder ailleurs. Voilà quelques semaines à peine que le premier a installé le second à Matignon, voilà quelques semaines déjà que le second répète qu’au premier “il doit tout”, voilà quelques jours pourtant qu’à l’Elysée parviennent des crépitements agaçants. Autour du président s’agiterait une cour incapable de le pondérer, “un cirque” même ; pire, Emmanuel Macron manquerait parfois de rationalité. Rue du Faubourg Saint-Honoré, on ouvre les fenêtres, on hume l’air… L’odeur de roussi viendrait-elle de Matignon ? Vite, éteindre l’incendie. Ceux qui entourent ces animaux politiques ont vite saisi que la “paranoïa” du chef combinée au jusqu’au-boutisme du fougueux Premier ministre et de ses équipes teinteraient leur relation d’une méfiance inflammable. “Le président a vis-à-vis d’Attal une bienveillance sourcilleuse”, énonce un conseiller élyséen. Afin qu’il en soit ainsi quelque temps encore, l’entourage du chef de l’Etat décide d’envoyer au locataire de Matignon une émissaire. Rumeurs égrenées, singularité de leur relation décortiquée, conversation qui s’étire, voici Gabriel Attal obligé de jouer les pompiers. Ton ferme : “Je n’ai pas donné mandat à qui que ce soit pour dire du mal du président” ; décidément, il n’y a pas qu’à la télévision que ce jeune homme est convaincant.

Mais… Se peut-il que l’un des siens, un mousquetaire, éminent membre du carré magique qui autour de lui gravite, ait un jour pris des libertés ? Avec eux, ses collaborateurs de la première heure, Gabriel Attal partage tout, son ambition, ses angoisses, la politique et même, c’est inouï, les conversations qu’il a avec Emmanuel Macron. Quand celui-ci l’appelle, le Premier ministre appuie fréquemment sur la touche haut-parleur de son téléphone. Pas de secret pour ses stratèges, chargés notamment d’empêcher l’hubris de submerger l’ambitieux trentenaire. Mais qui modère les modérateurs ?

Lui c’est lui, et moi c’est lui

La Ve a ses règles, mais elle n’impose pas de modèle. Emmanuel Macron rêve peut-être de placer ses pas dans ceux de François Mitterrand, Gabriel Attal nourrit d’autres ambitions que celle de ressembler à Laurent Fabius. “Lui c’est lui, et moi c’est lui”, formule-t-il docilement quand sur leur duo un proche du président le questionne, en marge d’un dîner à l’Elysée, au soir de la panthéonisation des Manouchian. Verticalité acceptée, transcendance du chef, ce dernier décide, mais qui a dit que le Premier ministre n’avait pas le droit de prendre un peu de liberté dans l’exécution, surtout quand celle-ci rime avec communication ?

Par exemple, Emmanuel Macron n’avait-il pas érigé l’égalité femmes-hommes en priorité de son quinquennat ? Dans ces conditions, il faut se réjouir de la prise de parole du Premier ministre dans le magazine Elle pour la journée des droits des femmes, quand bien même à l’Elysée, on aurait été chagriné d’apprendre l’initiative sur le tard.

La presse, les réseaux sociaux, l’information en continu… Le temps chamboulé. L’histoire, la leur, s’écrit sous leurs yeux et cela n’a pas échappé à Gabriel Attal. Il a en commun avec le président cet appétit pour ce qui s’écrit sur lui. Il a, contrairement au président, la menace facile n’hésitant pas à trompeter dans les oreilles d’un directeur de chaîne de télévision : “Tu changes le bandeau tout de suite sinon tu ne viens plus dîner avec moi à Matignon.” Quand il était en quête du Premier ministre idéal, Emmanuel Macron devant les siens martelait : “Il me faut un animateur !” Il parlait au sens figuré.

Depuis, il a observé qu’en matière d’animation, Attal excelle quand il s’agit d’aller à la rencontre des Français. Poignées de mains chaleureuses, accolades franches, le Premier ministre maîtrise l’art de l’échange. De bonnes âmes ont aussi fait remarquer au président que le populaire chef du gouvernement se prenait en photo lui-même avec les téléphones des gens. Parfois, il se met avec eux sur le cliché mais parfois il leur prend le téléphone des mains pour immortaliser un selfie, seul face à l’objectif. “En le nommant, tu vas devenir ringard”, les amis d’Emmanuel Macron ne croyaient pas viser si juste.

Un appareil photo pour soi, un micro pour deux. Emmanuel Macron a des fourmis dans les pattes. Il “brûle d’envie”, jure un ministre, d’aller à Lille pour le premier meeting de la campagne européenne de la majorité, le 9 mars. Pas comme militant, n’est-ce pas… “Egotique”, la relation qu’il entretient avec cette campagne des européennes, selon un ami. Il ne peut s’empêcher de se repasser le film de 2019 : son implication, sans doute trop tardive, et les répercussions, certainement immédiates et bénéfiques. Alors, pas question cette année d’arriver en retard. Lui saurait rallumer la flamme, soulever la foule, danser avec les jaunes étoiles du drapeau bleu. Un président partisan, un président clivant, alors qu’il vient tout juste, deux jours plus tôt, de tenter de ressusciter l’esprit des Rencontres de Saint-Denis en invitant tous les chefs de partis à l’Elysée, alors que l’Assemblée nationale, quatre jours plus tard, doit, au-delà des frontières partisanes, approuver un accord sur l’Ukraine ? Ministres et conseillers s’emploient à calmer les ardeurs du chef, il sera toujours temps, autrement, d’occuper le haut de l’affiche. Car – chut – c’est aussi de cela qu’il s’agit. Le pouvoir ne se partage pas, avait écrit un jour Edouard Balladur, Premier ministre de son état. Et le Premier ministre d’aujourd’hui, justement, a, lui, tout le loisir de faire le déplacement dans le Nord. Mieux, de parler en dernier, puisqu’il occupe le sommet de la hiérarchie gouvernementale ? Le GO du meeting – faute d’y participer, Emmanuel Macron l’organise dans les moindres détails, appelant un jour François Bayrou pour le convaincre d’honorer de sa présence le rendez-vous, réglant un autre les préséances – le GO du meeting, donc, ne tourne pas autour du pot, son insistance frappe ses interlocuteurs : non, Gabriel Attal ne conclura pas l’événement, ce sera une certaine Valérie Hayer, tête de liste de dernière minute.

Un Salon pour deux. Les vaches sont accueillantes, qui regardent passer les innombrables personnalités politiques sans jamais broncher, à peine beugler. Ceux qui bronchent, et pas qu’un peu, ce sont des agriculteurs en colère, manipulés ou pas, là n’est pas la question : les voici qui empêchent Emmanuel Macron de faire le moindre pas. Il faut dire que l’Elysée a mis la voiture présidentielle dans le fossé en annonçant la présence des Soulèvements de la Terre à un grand débat voulu par le patron. Le pire dans cet incroyable pataquès, c’est que le chef de l’Etat, en raccompagnant des dirigeants agricoles deux jours avant, a indiqué comment il comptait régler la crise : par un simple claquement de doigts. Ses interlocuteurs n’en sont toujours pas revenus et de l’autre côté de la Seine, du côté de Matignon, ce ne sont pas les doigts qui ont claqué, ce sont les bras qui en sont tombés. Gabriel Attal ira au Salon de l’agriculture, et plutôt deux fois qu’une, dans l’ordre et la bonne humeur. Surtout, “ne pas reproduire samedi”, répétaient les équipes de Matignon en préparant la venue du Premier ministre. Choc des images.

Depuis le premier jour, chacun avance ses pions. L’essentiel est que cela ne se voie pas (trop). Le 4 janvier, Gabriel Attal est entré à l’Elysée par la grille du parc, pendant son échange avec Emmanuel Macron les rideaux resteront fermés. Ce jour-là et les suivants, le président et celui qui est en train de devenir son Premier ministre jouent aux échecs. Gabriel Attal a une idée pour l’Education nationale, Christophe Béchu ; le président a la sienne, Nicole Belloubet – et on sait qui a le dernier mot dans la Ve République. Amélie Oudéa-Castéra ? Emmanuel Macron rechigne à s’en séparer, il n’a pas envie de céder à la vindicte ; Gabriel Attal s’en passerait volontiers, même sa présence pour organiser les Jeux olympiques ne lui semble pas indispensable, il n’a jamais pensé que cette tâche incombait à la ministre chargée du dossier. Cette fois, on coupe la poire en deux : Oudéa ne sera plus ministre de l’Education, Castéra restera ministre des Sports. Le Premier ministre pousse Guillaume Kasbarian pour le logement, le président trouve que Patrice Vergriete fait très bien le job. Abracadabra, Vergriete sauve son portefeuille, mais il s’occupera des Transports.

Gabriel Attal ne se voit pas comme ses prédécesseurs. Ça tombe bien, il n’est pas comme eux. Lui n’arrive pas de nulle part, on ne lui fera pas le coup du Mister Nobody. Il est le premier des quatre chefs du gouvernement désignés depuis 2017 à débarquer rue de Varenne bardé de sa popularité et démangé par une ambition élyséenne – pour les autres, l’appétit est venu en mangeant. Il accroche la lumière et ne conçoit pas tout à fait Matignon comme un passage à l’ombre. La concurrence médiatique au sommet de l’Etat ne tarde pas. Le lundi 5 mars, Gabriel Attal est à la tribune du Congrès, pour la première révision constitutionnelle réussie par Emmanuel Macron, l’inscription de l’IVG. Ce sont les institutions qui le veulent, alors qu’à cela ne tienne : le vendredi 8 mars, le chef de l’Etat ne se contente pas d’assister à la traditionnelle cérémonie au cours de laquelle est scellée la constitution révisée, il prend la parole en grande pompe, place Vendôme – en son temps, Nicolas Sarkozy, dont la discrétion n’était pourtant pas forcément la caractéristique première, s’était contenté de dire quelques mots dans les salons feutrés de la Chancellerie. Le mardi 12 mars, Gabriel Attal prononce la déclaration du gouvernement relative au débat sur l’accord franco-ukrainien et la situation en Ukraine à l’Assemblée nationale. Ce sont les institutions qui le veulent, alors qu’à cela ne tienne ; à peine le vote a-t-il eu lieu qu’est annoncée une interview du président de la République à 20 heures sur TF1 et France 2, pour le jeudi suivant. Ce n’est pas un duo complémentaire, c’est un duo concurrent. A Macron, Macron et demi : “Gabriel est plus moderne qu’Emmanuel sur un terrain sur lequel celui-ci est normalement le plus moderne : la com’”, relève un ami commun.

Ce qui me surprend le plus dans la fonction, c’est que beaucoup de choses se décident à deux

L’histoire est là pour le prouver, au sommet de l’Etat c’est souvent une affaire d’hommes (surtout depuis qu’Elisabeth Borne est partie) ; de pâte humaine. On se souvient de François Mitterrand ne supportant plus, tiens tiens, que le jeune, le neuf, l’espoir, ce soit l’autre (Laurent Fabius) : fut alors inventée pour lui une émission sur mesure, Ça nous intéresse M. le président, pour changer son image. On se rappelle Michel Rocard chaque jour plus humilié par ce même président, et pourtant chaque soir obligé de revêtir les habits du “génie des carpettes” quand il intervenait à la télévision : “A travailler quotidiennement avec lui, on s’enrichit, j’apprends tous les jours, c’est un privilège.” Emmanuel Macron a son propre mode de fonctionnement, de raisonnement, tous ses Premiers ministres ont dû apprendre à les décoder. C’est l’un des ex, sous le double sceau du secret, qui le résume le mieux : “Que fait-on sur cette question ? Le plan A est retenu, puis le plan B, oui, c’est le meilleur, puis retour au plan A pour finir avec On fait C. Si on ne comprend pas ça avec ce président…” Il a suffi d’un échange de moins d’une minute, dans un train allant de Paris à Dijon le 13 janvier, pour que Gabriel Attal et Catherine Vautrin se comprennent sans s’étendre : elle avait été le plan A pour Matignon en 2022, lui en était maintenant l’heureux hôte. L’essentiel est de savoir sur quel pied danser. Valse ternaire, dit-on à l’Elysée : “Le premier temps est le plus lourd qui marque le mouvement, c’est celui du président, puis vient le temps du Premier ministre, enfin celui du gouvernement.”

C’est une règle d’or que connaissent tous les danseurs. L’essentiel, c’est la bonne distance entre les deux partenaires. Gabriel Attal n’a jamais fait partie du cercle rapproché d’Emmanuel Macron. Il lui a fallu attendre d’être ministre de l’Education nationale pour entrer, pour la première fois de sa vie, dans le fameux salon doré de l’Elysée. Il l’a alors dit au président, le moment l’a ému. Cela ne l’a pas empêché de maugréer, bien qu’il ait affirmé le contraire, lorsque le chef de l’Etat a fait de l’éducation une extension de son “domaine réservé”. Aujourd’hui, Gabriel Attal s’entretient deux fois par semaine en tête à tête avec Emmanuel Macron. “Ce qui me surprend le plus dans la fonction, a-t-il expliqué à ses proches, c’est que beaucoup de choses se décident à deux.” Sans doute lui arrive-t-il même de rêver d’une organisation encore plus fluide : au président les affaires du monde, à lui celles du pays. Mais un tango ne remplace pas une valse.

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