Taxation des superprofits : une croisade morale qui ignore les réalités cycliques des marchés

Taxation des superprofits : une croisade morale qui ignore les réalités cycliques des marchés

La taxation des superprofits, comme le rétablissement de l’ISF, fait partie des meubles qui donnent au débat public français son charme si particulier. Cette taxation est en ce moment exigée par la gauche et suggérée par plusieurs membres éminents de la majorité, de Yaël Braun-Pivet à François Bayrou. Au gouvernement, le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave, qu’on a connu mieux inspiré, a évoqué cette piste. Même le Premier ministre Gabriel Attal n’en fait pas un tabou, ce en quoi il peut être totalement rassuré puisqu’on en parle sans discontinuer. Et on sent bien que la droite, toujours encline à entretenir cette autre spécificité française, un antilibéralisme qui ne soit pas de gauche, se laisserait facilement séduire par l’idée.

Dans notre pays où gagner de l’argent cache forcément un crime, on comprend que cette proposition soit populaire. Cette idée qui emporte sans doute l’assentiment de nombreux Français est pourtant mauvaise pour les entreprises et ne serait pas rentable pour l’Etat. On peut déjà remarquer que les profits sont fortement taxés en France. L’impôt sur les bénéfices des entreprises en prélève une première fois 25 %. Si ces profits sont distribués sous forme de dividendes, ils sont taxés une deuxième fois à hauteur de 30 %. C’est le prélèvement forfaitaire unique, ou PFU, parfois appelé flat tax. Les profits distribués en dividendes, super ou pas, sont donc taxés à plus de 50 %. Ajoutons que pour certaines entreprises, dans l’énergie par exemple, il existe déjà une taxe sur les superprofits. Mais Thomas Cazenave a déclaré qu’elle ne rapportait pas assez.

“Punir” les entreprises de profits prétendument volés à l’Etat

Si je comprends bien les termes du débat, il s’agirait donc d’ajouter une troisième – ou quatrième, on ne sait plus trop – couche de fiscalité, afin de punir les entreprises qui perçoivent des superprofits. J’emploie le terme “punir” car il semblerait bien que cette politique revête un caractère moral, comme si des entreprises percevaient des profits indus, volés à l’Etat, qu’il conviendrait de lui rendre. Mais de quoi s’agit-il en réalité ? Il est vrai que, dans une économie concurrentielle, une entreprise peut réaliser des profits inhabituellement élevés pendant un an ou deux, en fonction de circonstances de marché exceptionnelles. Ainsi, quand la pandémie de Covid 19 eut fait flamber les tarifs du transport maritime, un groupe comme celui de l’armateur CMA CGM a gagné beaucoup d’argent.

Simplement, par construction, les superprofits ne sont pas reproductibles et les circonstances de marché qui les ont fait naître peuvent se retourner, souvent brutalement. En d’autres termes, les superprofits de l’année N sont la contrepartie de superpertes de l’année N + 1. Sans superprofits, les entreprises qui opèrent sur des marchés instables ou cycliques, comme le fret maritime, les matières premières, l’industrie lourde ou la promotion immobilière, sont menacées. D’ailleurs, CMA CGM a, dans l’indifférence quasi générale, enregistré des pertes au quatrième trimestre 2023.

Des prélèvements bien supérieurs aux aides

Dans la même croisade à la mode contre l’économie de l’offre, monte la musique selon laquelle l’aide financière à nos entreprises sous forme de subventions, de soutiens aux investissements et de crédits d’impôt, engloutirait tellement d’argent qu’il serait nécessaire de la réduire afin de préserver nos finances publiques. Le spécialiste de cette matière François Ecalle a pourtant montré que, pour l’exercice fiscal 2022, les aides aux entreprises s’élevaient à 2,2 % du PIB et les prélèvements sur ces dernières à 12,5 % du PIB. La différence entre les deux chiffres – les prélèvements “net” – n’a pas baissé depuis quarante ans et reste bien plus élevée en France qu’en Allemagne, en Italie et en Espagne, nos trois principaux concurrents de la zone euro.

La réalité, c’est que les profits en France sont hypertaxés, que les superprofits sont bien utiles, et que les aides aux entreprises soulagent marginalement la charge fiscale et sociale qui pèse sur notre système productif. La timide stratégie de l’économie de l’offre menée depuis sept ans a permis de diminuer le chômage, de redonner de l’attractivité à notre pays et d’amorcer une ébauche de réindustrialisation. N’y touchons pas !

*Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères.

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