“Tout le monde a la trouille…” : Rachida Dati, sa vie en Macronie

“Tout le monde a la trouille…” : Rachida Dati, sa vie en Macronie

Les pupitres claquent, les oppositions grondent. On peine à distinguer la voix de Gabriel Attal, couverte des éructations de La France insoumise et du Rassemblement national. Le 30 janvier, le Premier ministre prononce sa déclaration de politique générale dans une ambiance incandescente. Au premier rang, Rachida Dati écoute. S’agace, surtout. Ce vacarme, quelle indignité ! La ministre de la Culture prend son mal en patience. Puis craque et se tourne vers sa collègue Marie Lebec, chargée des relations avec le Parlement. “Ecris à Yaël [Braun-Pivet]. Ce bordel est insupportable. A mon époque, cela ne se passait pas comme ça !” La ministre s’exécute. En vain. “C’est la vie”, rétorque la présidente de l’Assemblée nationale. Bienvenue en Macronie ! On y goûte les délices de la majorité relative. Adieu, le sage Parlement des années Sarkozy.

Rachida Dati s’en remettra. “Insubmersible” : quatre syllabes qui disent tout ce qu’Emmanuel Macron pense d’elle. Lui songe à cette prise de guerre depuis sa réélection, un poste régalien a même été envisagé. Elle ne l’a jamais ciblé personnellement, sauf dans une tribune au vitriol sur les violences faites aux femmes, publiée par la candidate LR aux municipales à Paris juste après sa défaite, faute d’alliance avec les amis du président.

Les sueurs froides de Matignon

Gabriel Attal ne connaissait pas beaucoup Rachida Dati. Emmanuel Macron l’a informé sur le tard, Les Echos l’ont raconté, de sa tentation Dati. Quand le cachottier président finit par dévoiler ses cartes, il le soumet à un dilemme : “Tu la verrais plutôt à l’Education ou à la Culture ?” Le Premier ministre se dit qu’il est préférable de commencer par le commencement. La Culture, c’est déjà ça… Matignon devait composer avec les poids lourds Le Maire et Darmanin ? Là, c’est autre chose. Rachida Dati entre dans la catégorie stars. Gabriel Attal comprend qu’il récupère une personnalité très identifiée par les Français, encore dans la politique active, ce qui ne court pas les rues. “Oui, elle a une place à part, il n’y a que deux femmes comme ça, Ségolène Royal et elle”, observe un proche.

Il s’agit vite de passer de la théorie à la pratique, la gestion de la star. Le dimanche 14 janvier, la ministre de la Culture accorde sa première interview au Parisien. A Matignon, la veille au soir, on se passe Sueurs froides. Dans chef du gouvernement, il y a le mot chef. Aussi la consigne a-t-elle été rappelée à Rachida Dati : tout entretien doit être relu par Matignon et par l’Elysée, il n’y a pas de passe-droit. Le temps file, toujours aucune nouvelle. Le téléphone chauffe, on est à deux doigts de s’énerver. “Je sais qu’elle a beaucoup de pouvoir, pas celui de retarder le bouclage du Parisien !”, grommelle un conseiller. Mais Rachida Dati connaît les petits trucs : plus elle envoie son interview tard, moins on a la possibilité matérielle de l’amender. Ce ne sera même pas la peine. Pas un mot à retoucher, du travail de professionnel : Matignon respire.

Elle parle tout le temps, a un avis pour tout et pour tout le monde

Pas forcément pour longtemps. Jusque-là, les macronistes riaient dans leur coin, ils avaient entendu parler des colères de Rachida Dati, de ses coups de gueule légendaires – ils avaient remarqué comment François Baroin avait été exécuté d’une formule bien sentie le renvoyant à ses hésitations d’hier pour avoir critiqué le ralliement de l’ex-garde des Sceaux à la majorité présidentielle. Cette fois, ils ont vu, de leurs yeux vu. De leurs oreilles entendu, surtout, elles tremblent encore. Bercy cherchait 10 milliards d’économie, a regardé du côté de la Culture. Et Dati a fait du Dati. “Elle a hurlé, Elysée, Matignon, partout, elle a arrosé tous azimuts, il y en a eu pour tout le monde”, raconte-t-on au sommet de l’Etat. Le budget de la Rue de Valois sera amputé de 200 millions d’euros.

Séduction et violence. La Macronie découvre cet animal politique, capable “de vous envoyer 100 SMS par jour avec des cœurs”, puis de déchaîner sa fureur. “Ils ont cru nous avoir envoyé une bombe à fragmentation. Ils ont récupéré une bombe à retardement”, a glissé l’eurodéputé LR Brice Hortefeux, éternel ennemi de Rachida Dati, à son collègue François-Xavier Bellamy. Il est encore tôt. Le camp présidentiel a plutôt droit aux mamours. Prenez Stéphane Séjourné. Le ministre des Affaires étrangères tançait en 2020 la “droite rétrograde” de la maire du VIIe arrondissement de Paris. Quatre ans plus tard, les voilà à papoter comme deux amis d’enfance lors d’un voyage officiel en Inde. “Ils s’apprécient, le gauchiste et la sarkozyste”, s’amuse un proche du patron du Quai d’Orsay. La greffe prend. Ses collègues louent à l’unisson l’intégration de Rachida Dati, telle un “poisson dans l’eau”. Avec parfois le ton d’un adolescent face à une vedette de Hollywood : “Quand elle rentre quelque part, elle dégage quelque chose, quand même” ; “Elle a une aura qui la protège, tout le monde a la trouille car elle est bonne.”

Il y a des figures qu’elle connaît dans ce nouveau monde, venues tout droit de l’équipe Sarkozy. Gérald Darmanin est de celles-là, les deux se voient trois à quatre fois par an depuis 2022. Ils ont encore partagé un petit-déjeuner à Beauvau le 4 février. Le ministre de l’Intérieur est bien placé pour avoir remarqué depuis longtemps les attentions qu’Emmanuel Macron porte à Rachida Dati. A l’automne 2022, le chef de l’Etat lui a demandé de la voir “pour régler quelques dossiers”. Quelques semaines plus tard, il se rend en personne à la mairie du VIIe arrondissement. Au Conseil des ministres, les deux sont souvent assis côte à côte. “Ça papote, ça complote !, note un présent. C’est vrai qu’elle prend de la place !”

“Dis-moi comment on bosse ensemble !”

La Macronie est un drôle d’écosystème, mais elle sait y faire – à l’ancienne. Au Sénat, le patron des députés macronistes François Patriat a eu droit à une caresse de la native de Chalon-sur-Saône : “Tu sais que j’ai eu ton frère comme prof à la fac de Dijon ? Dis-moi comment on bosse ensemble !” Professionnelle, Rachida Dati. Sans gêne, aussi. “Elle parle tout le temps, a un avis pour tout et pour tout le monde”, s’amuse une ministre. Elle n’hésite pas à intervenir hors sujet relevant de sa compétence ministérielle. Lors de la première réunion à Matignon, alors que Catherine Vautrin insiste sur la nécessité de ramener les seniors vers le travail, elle souligne : “Tu sais combien c’est difficile dans les quartiers.”

Elle joue au ministre de la Culture, elle n’a plus rien à perdre et s’autorise tout comme elle se fout de tout

Rue de Valois, Rachida Dati a senti le piège. Il ne faudrait pas être accusé d’instrumentaliser son poste pour assouvir ses ambitions municipales. La ministre prend à contre-pied son image de Parisienne et promet de “désenclaver” la culture. Elle lance “Le Printemps de la ruralité”, concertation sur la vie culturelle en milieu rural. S’entoure d’un directeur de cabinet adjoint chargé des territoires. “Elle intrigue les cultureux, et leur plaît par son bagout”, note un spécialiste du secteur. Politique, aussi, quand elle relance au pas de charge la réforme de l’audiovisuel public.

Elle avance ses pions. L’air de rien, elle profite d’un entretien accordé à la revue Le Film français pour regretter “l’aveuglement collectif” du cinéma français au sujet des violences sexuelles. Le soir des César, elle est la première à se lever après le discours de Judith Godrèche. Quand les époux arméniens Manouchian entrent au Panthéon, elle se met en scène dans une vidéo avec André Manoukian. “Son show pour faire oublier l’Azerbaïdjan [NDLR : sa proximité avec ce régime autoritaire lui a valu plusieurs polémiques], il n’y a qu’elle pour faire un truc comme ça, c’est très fort”, lâche, épaté, un conseiller de l’exécutif. Un autre abonde : “Depuis combien de temps n’avait-on pas vu un ministre de la Culture pouvoir faire autant de médias pour toucher autant de gens ?”

“Elle s’autorise tout”

Pas vu à la télé : Rachida Dati, l’humoriste. Le vendredi 9 février, rendez-vous aux Victoires de la musique, à Boulogne-Billancourt. Confortablement assise dans son fauteuil, à côté de Delphine Ernotte, la directrice générale de France Télévisions, la ministre écoute Zaho de Sagazan, Yamê ou encore Gazo. Mais sur son siège, elle trépigne puis se lève, et file vers le car régie de France Télévisions. Un petit coucou aux équipes techniques, une photo pour le tweet du lendemain. Puis elle se saisit d’un casque et du micro pour parler à l’oreille des présentateurs, Léa Salamé et Cyril Féraud. Les deux, qui s’attendaient à la voix de la directrice du divertissement, ne reconnaissent pas celle de la ministre sur le moment qui, elle, se gondole. “Hé, arrêtez de vous draguer, vous deux !” Sur scène, Salamé et Féraud se retiennent de rire avec une Rachida Dati qui continue son “show”, devant des techniciens pliés en quatre : “Mais reste pas devant la caméra, toi !”, “Je n’achèterai pas son album à lui…”

Ceux qui la connaissent racontent qu’elle vit ce moment comme “un amusement”. “Elle joue au ministre de la Culture, elle n’a plus rien à perdre et s’autorise tout comme elle se fout de tout”, raconte une de ses amies. De tout, et de tout le monde. Comme lorsqu’elle se lance dans une imitation de sa collègue Amélie Oudéa-Castera devant des sénateurs et la directrice générale des médias et des industries culturelles, ancienne camarade de promotion à l’ENA d’AOC. Valérie Pécresse y avait droit lors de la campagne présidentielle. Avec son entrée en Macronie, voilà Rachida Dati contrainte de renouveler son répertoire !

Numéro d’équilibriste

Pas sûr qu’elle sache copier les mimiques des marcheurs parisiens. Rachida Dati ne fréquente pas les militants Renaissance depuis son entrée au gouvernement. C’est un secret de polichinelle : l’ex-garde des Sceaux veut rassembler la droite et la Macronie en vue des municipales. “Je suis adepte de la méthode Sarko, a-t-elle confié à un élu avant sa nomination. On se rassemble tous au premier tour. On fait un gros score et on crée la dynamique pour le second.” Cette ambition suppose un don d’équilibriste. La ministre Dati s’est convertie au macronisme en un clin d’œil. Du genre à accueillir debout sur sa chaise Valérie Hayer lors du premier meeting de Renaissance aux européennes, le 9 mars. Mais elle cajole sa droite : elle entretient une relation solide avec les élus LR parisiens, qui l’érigent en candidate naturelle pour 2026. Et tant pis si le patron de LR Eric Ciotti a promis à plusieurs interlocuteurs de “mettre quelqu’un à Paris” pour lui faire payer sa trahison. “Je connais ton candidat. Il s’appelle Mister Nobody”, lui a rétorqué le maire du XVe arrondissement Philippe Goujon.

La ministre de la Culture Rachida Dati lors du lancement de la campagne des élections européennes de la majorité présidentielle à Lille, le 9 mars 2024

Avec les élus macronistes, Rachida Dati avance à pas de loup. Lors de son retour au Conseil de Paris le 6 février, elle change ses habitudes. Entre par le haut de l’hémicycle, puis échange ostensiblement avec plusieurs d’entre eux. Rien ne sert de brusquer le destin, il y a un passif à solder. “Chez nous, certains préparent depuis 2017 des argumentaires contre Dati, c’est dur de leur expliquer”, note une ministre. La campagne de 2020 a été violente. Sylvain Maillard étrillait à l’époque une “escroquerie politique”. Ces derniers mois encore, il n’avait pas de mots assez durs contre la cheffe de file de l’opposition parisienne.

Un entretien avec le patron des macronistes parisiens

L’entrée en Macronie efface bien des péchés. Le lundi 4 mars, la France s’apprête à graver l’IVG dans le marbre de la Constitution. Selon nos informations, Rachida Dati et Sylvain Maillard se retrouvent au ministère de la Culture, quelques heures avant la réunion du Congrès. On évacue vite la vie à l’Assemblée nationale. “Elle s’est parfaitement intégrée à la majorité et est bien accueillie nos élus”, reconnaît le patron des députés Renaissance. L’essentiel est ailleurs, il s’agit d’enterrer la hache de guerre. Rachida Dati rassure le patron de la fédération parisienne : aucun deal sur la capitale n’a été noué avec Emmanuel Macron lors de son arrivée au gouvernement. Le chef de l’Etat avait déjà fourni à Maillard cette garantie par SMS. Prière de les croire. Le député de Paris détaille à Rachida Dati ses travaux sur la réforme de la loi PLM (Paris-Lyon-Marseille), qui vise à faire élire ces maires au scrutin direct. Puis lui expose sa volonté d’instaurer une primaire fermée pour désigner le champion de la majorité en 2026, à défaut de candidat naturel. La ministre n’est pas enthousiaste, “à titre personnel et vu l’histoire de la droite”. Le marcheur garde en tête le duel fratricide entre Benjamin Griveaux et Cédric Villani. “Au vu de notre histoire personnelle, nous ne sommes pas favorables au fait de partir avec deux candidats à Paris”, rétorque-t-il. Entre Dati et ses nouveaux amis, la fusion attendra. Question de culture.

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