Violence des mineurs : au-delà du “plan Attal”, le bilan désastreux des centres éducatifs fermés

Violence des mineurs : au-delà du “plan Attal”, le bilan désastreux des centres éducatifs fermés

“Saisissez-vous de cette chance” : ce lundi 22 avril, devant une poignée d’adolescents venus passer leurs vacances en stage de “rupture” dans un internat éducatif à Nice, Gabriel Attal s’est voulu ferme. En déplacement dans cet établissement pilote, le Premier ministre a tenu à vanter les mérites de cette nouvelle mesure éducative, qui permettrait “d’investir le plus tôt possible dans la prévention pour éviter à des jeunes de tomber dans la délinquance”. À la suite de plusieurs faits divers violents impliquant notamment de jeunes adolescents ces dernières semaines, l’ex-ministre de l’Education a rappelé son souhait de placer, “à l’année ou pendant les vacances, beaucoup plus de jeunes en internat pour éviter qu’ils dérivent”.

La montée en puissance de cette mesure, prévue par le nouveau code de la justice pénale des mineurs entré en vigueur en 2021, permettrait notamment de prendre en charge au plus tôt les adolescents en difficulté, afin d’éviter une condamnation plus restrictive par la suite – tel que l’enfermement en centre éducatif fermé (CEF). Les difficultés de fonctionnement et l’efficacité relative des CEF ont récemment été épinglées par la Cour des comptes dans un rapport publié en octobre dernier. Au point que le dispositif de l’internat éducatif apparaît notamment comme une réponse à cet échec.

Les centres éducatifs fermés, créés par une loi de 2002, sont régulièrement présentés comme “la dernière étape avant l’incarcération d’un mineur”. Conçus pour accueillir des adolescents multirécidivistes ou ayant commis des actes particulièrement graves, après que d’autres solutions d’hébergement ont échoué, les 54 CEF répartis sur le territoire ont accueilli en moyenne 417 jeunes au premier semestre 2022, soit huit adolescents par centre, pour une durée moyenne d’enfermement de 4,3 mois en 2021. Ce dispositif mériterait, selon la Cour des comptes, que le ministère de la Justice accomplisse un “effort d’évaluation de leur efficacité et de leur efficience”, notamment aux vues des “fragilités persistantes” qui y ont été observées et de leur coût journalier.

Selon les données du ministère de la Justice – qui mériteraient, selon la Cour, d’être “fiabilisées” – le coût effectif d’une journée en CEF s’établissait ainsi en 2019 à 705 euros dans le secteur public, et à 571 euros dans le secteur associatif habilité. Une somme extrêmement importante par rapport au coût d’un élève dans l’enseignement secondaire, de l’ordre de 9950 euros par an, selon le ministère de l’Education nationale, soit environ 55 euros par jour de classe.

Alors même que les CEF sont depuis 2020 sous-occupés, et utilisés en moyenne “aux deux tiers de leur capacité d’accueil”, les auteurs du rapport s’étonnent que le gouvernement ait mis en œuvre, depuis 2018, un plan de création de 22 nouveaux CEF. “Il serait opportun, avant de lancer des projets nouveaux, d’évaluer l’existant et d’analyser les besoins à satisfaire”, tancent-ils.

“Ce sont des cocottes-minute”

Selon les professionnels du secteur, la prise en charge des mineurs dans certains de ces CEF laisserait largement à désirer. “Ce sont des cocottes-minute : on concentre au même endroit des jeunes qui ont les mêmes problématiques de violence, de difficulté familiale et d’insertion, sans les moyens de les protéger ou de les accompagner”, décrit Vincent Fritsch, éducateur depuis près de 30 ans et membre du bureau national du Syndicat des personnels de l’éducation et du social (SNPES-PJJ-FSU). “Le constat de terrain, c’est que ces centres sont aujourd’hui un échec, avec de nombreuses situations de violences entre jeunes ou envers les professionnels, et un taux de scolarisation déplorable”, estime-t-il.

Un bilan confirmé par un récent avis de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Dominique Simonnot,. Elle a constaté que le nombre d’heures d’enseignement au sein de ces établissements n’excédait pas “cinq heures de cours hebdomadaires effectifs”, contre 25 heures théoriquement prévues. En 2021, la CGLPL alertait déjà, dans un rapport sur les droits fondamentaux des mineurs enfermés, sur les “nombreuses et graves difficultés” repérées au fil de ses visites en CEF, citant pêle-mêle la qualité insuffisante des projets éducatifs, l’absence de maîtrise de la discipline “qui peut dériver vers l’excès de tolérance, vers l’excès de contrainte ou vers la violence”, l’insuffisante association des familles ou des éducateurs du milieu ouvert à l’action éducative, des conditions matérielles de prise en charge souvent inadaptées et, surtout, “l’instabilité et l’absence de formation des équipes”.

Sur ce point, la Cour des comptes rappelle ainsi que “d’importants phénomènes de violences” ont conduit, entre 2014 et 2021, à la suspension provisoire d’activité de 14 CEF, dont neuf en raison d’atteintes aux droits des usagers ou de dysfonctionnements structurels récurrents, et à la fermeture définitive de l’établissement de Dreux (Eure-et-Loir). “La qualité de la relation éducative entre les jeunes accueillis et les professionnels qui les accompagnent est le premier facteur de succès d’un CEF. Or le déficit d’attractivité des métiers du travail social en général affecte gravement [ces] structures”, expose la Cour. Le recours “croissant” à des contrats à d’intérim constituerait notamment “l’un des symptômes préoccupants de cette crise”. En 2022, seuls 271 agents titulaires occupaient ainsi l’un des 514 postes disponibles au sein des CEF, laissant la majorité des places vacantes à des contractuels, souvent peu formés à la complexité des situations de délinquance rencontrées.

“Actuellement, nous pouvons affirmer que plus d’un tiers des centres fermés connaissent de graves difficultés, pour en avoir des témoignages réguliers et extrêmement concrets”, déplorait, dès juillet 2022, le SNPES-FSU dans un communiqué. À titre d’exemple, le syndicat citait notamment le placement sous contrôle judiciaire d’un éducateur contractuel, pour avoir commis des violences sur un jeune placé au sein du CEF de La Chapelle Saint Mesmin (Loiret), libérant la parole du reste du personnel sur “des passages à tabac de jeunes par d’autres jeunes sans dépôt de plainte”, une impossibilité d’accompagner les adolescents vers un médecin, des violences subies par des professionnels “qu’on oblige à venir retravailler le lendemain”. Même type de récit du côté du CEF de Beauvais, dans le Nord, dont le personnel a interpellé début 2022 la Direction régionale de la Protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), pour dénoncer le nombre important de titulaires en arrêt maladie ou en accident de service depuis 2019, impliquant “le recrutement de plus de 50 agents non titulaires” dans la structure. “Une grande partie est recrutée sans diplôme et sans aucune expérience dans le champ de l’éducatif et du travail avec les adolescents”, regrette le syndicat dans un communiqué. “Pire encore, la direction fait désormais appel à des agences d’intérim pour recruter des ‘agents de sécurité’ en charge des nuits faute de personnels éducatifs”, déplore le secrétariat régional du SNPES-FSU.

“Insuffisance des évaluations”

“Pour faire simple, on recrute au sein de certains centres le tout-venant, faute de moyens pour faire autrement. Ils ne tiennent pas deux mois : les professionnels qui y passent se rendent compte qu’il est impossible ou presque d’y tisser un lien avec les jeunes, ils se retrouvent à faire la police… Et pendant ce temps, l’efficacité de ces centres pour les mineurs reste à prouver”, décrit Vincent Fritsch. Interrogée par la Cour, la DPJJ évoque simplement une circulaire datant de novembre 2008, affirmant que “la mise en place des CEF a d’ores et déjà permis d’obtenir des résultats très encourageants”, avec “plus de 61 % des mineurs passés en CEF n’étant plus impliqués dans une affaire pénale dans l’année qui suit la fin de leur placement”. Selon la DPJJ elle-même, “la source de cette évaluation est incertaine, de sorte que le chiffre peut légitimement appeler des réserves”.

Un travail récent de la DPJJ sur le profil des mineurs placés en CEF le 15 juin 2021 montre, de son côté, que six mois après leur sortie, 86 % des jeunes n’auraient pas commis de nouveau délit ou crime et que 39 % des jeunes mettent en œuvre le projet éducatif élaboré au CEF. Mais la Cour des comptes précise que “le délai de six mois étant trop bref pour que des enseignements complets puissent être tirés, cette étude se poursuit”. Comme le souligne la CGLPL dans son rapport d’activité 2022, cette analyse repose d’ailleurs sur “41 % seulement du panel de départ, car les services n’ont pas répondu sur les autres cas”, souligne-t-elle.

“La faiblesse des études relatives à l’efficacité [des CEF], la pénurie de main-d’œuvre qualifiée pour encadrer les mineurs, les problèmes rencontrés dans leur fonctionnement et la difficulté à optimiser l’utilisation des places disponibles justifient qu’une pause soit observée dans la programmation de nouveaux CEF”, concluent de leur côté les auteurs du rapport de la Cour des comptes.

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