Eaux minérales : “La majeure partie de nos ressources est contaminée par des micropolluants”

Eaux minérales : “La majeure partie de nos ressources est contaminée par des micropolluants”

Nouvelle alerte sur les eaux en bouteille. Une contamination “généralisée”. Une note confidentielle de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), remise au ministère de la Santé en octobre 2023, a conclu que la “qualité sanitaire” des produits finis “n’est pas garantie”. Le document, dont le contenu a été dévoilé par Le Monde et France Info, épingle deux sites industriels français du groupe Nestlé : celui des Vosges (Vittel, Contrex, Hépar) et celui du Gars (Perrier). Dans ces deux endroits, l’eau y est dégradée à la source.

Les conditions de confiance sont jugées insuffisantes concernant “la qualité des mélanges mis en place dans les filières de production des différentes eaux minérales naturelles”. Un bilan qui justifie, d’après l’Anses, d’instaurer un “plan de surveillance renforcé” permettant une vigilance accrue sur “le risque sanitaire virologique”. Deux éléments sont particulièrement pointés par l’agence : la présence “a priori transitoire” de contamination “d’origine fécale dans certaines ressources”, et celle, généralisée, de micropolluants, dont certains peuvent être “permanents sur certains forages”. L’alerte des autorités sanitaires doit-elle alarmer les consommateurs ? Eléments de réponse avec Christelle Wisniewski, professeure des universités en sciences pharmaceutiques et biologiques à Montpellier, spécialiste dans le traitement des eaux et le docteur en pharmacie Annette Setti, auteure de la thèse “Quelle eau choisir pour la préparation des biberons destinés aux nourrissons ?”

L’Express : Le rapport de l’Anses dévoilé par FranceInfo et Le Monde évoquait un “niveau de confiance insuffisant” de certaines eaux minérales. Cela indique-t-il un risque pour le consommateur, notamment pour les bébés, pour lesquels il est recommandé d’utiliser de l’eau en bouteille ?

Annette Setti : Pas d’inquiétude : les eaux minérales données aux nourrissons ne sont pas les mêmes, normalement, que celles données aux adultes. Un label bien spécifique existe pour les eaux pour bébés, représentés par une étiquette. En principe, les eaux citées dans la presse ne font pas partie des bouteilles utilisées pour les nourrissons. Et si vous préférez donner à votre enfant de l’eau du robinet, vous le pouvez également : tout dépend de la commune où vous vous trouvez. La crainte majoritaire liée à l’eau du robinet est le risque de contamination via des bactéries pouvant entraîner une gastro susceptible de devenir grave chez les bébés. Si l’eau de la ville est testée régulièrement, comme à Grenoble, par exemple, – où elle l’est trois à quatre fois par jour – il n’y a a priori pas de problème. Mais cela peut-être différent dans les zones rurales, où le réseau peut-être plus vieux et moins contrôlé.

Christelle Wisniewski : En France, les pédiatres préconisent généralement de faire boire de l’eau en bouteille les premiers mois, voire la première année, pour éviter toute contamination bactériologique, susceptible d’entrainer par exemple des gastro-entérites. Il faut de toute façon garder à l’esprit que le risque zéro n’existe pas. Ces contaminations bactériologiques sont toutefois très rares, du côté du circuit “eau du robinet” comme “eau en bouteille”. Leur présence dans le circuit d’eau minérale de certaines sources de Nestlé est d’ailleurs la chose la plus surprenante ayant filtré du rapport, ce qui sera effectivement à surveiller. Il en va toutefois différemment des micropolluants – dont certains sont appelés PFAS, comme il est de plus en plus relevé dans la presse. Ce type de polluants, présents dans beaucoup de nos ressources en eau, est très préoccupant car s’il ne présente pas une toxicité immédiate, leur toxicité à long terme, encore mal connue, peut être préoccupante. La diversité des substances (résidus pharmaceutiques, pesticides, produits de la cosmétique…) que l’on va trouver dans les eaux est également problématique. En effet, on parle alors “d’effet cocktail”, encore extrêmement difficile à évaluer, mais qui peut être nocif à notre organisme.

Vous évoquez la question des “micropolluants”. Il est donc impossible d’y échapper aujourd’hui lorsque l’on boit de l’eau ?

Christelle Wisniewski : La majeure partie de nos ressources en eau est aujourd’hui contaminée, même à petites doses, par ces micropolluants. L’eau minérale est vendue comme une eau supposée “pure”, venant de nappes phréatiques profondes et ne nécessitant donc pas de traitement sophistiqué (UV, filtration membranaire…). Cependant, il a été montré récemment que mêmes ces ressources eaux ne sont pas épargnées.

Annette Setti : Cela ouvre également toute la question des polluants recherchés après traitement. Les stations d’épurations parviennent-elles à tester et détecter les présences de polluants médicamenteux comme le paracétamol, ou encore venant de traitement anticancéreux ? C’est loin d’être toujours le cas, et ne font pas partie des normes recherchées. Cette question concerne tous les âges, du bambin à l’adulte.

Est-il réellement possible de se débarrasser de ces micro-polluants ?

Christelle Wisniewski : Il faut que l’on réduise notre consommation de ces produits chimiques-là, procéder ainsi à une réduction à la source. La première réglementation européenne visant à enregistrer et évaluer les substances chimiques mises sur le marché date de 2006 – il s’agit du “règlement Reach“. Cela fait près de vingt ans qu’elle est en place. Maintenant, la question est de limiter les risques, en réduisant notre usage de ces substances. Aujourd’hui, nous arrivons à une telle dégradation des ressources que même une eau censée être d’extrêmement bonne qualité doit subir des traitements sophistiqués. Récemment, la presse s’est émue de trouver ces traitements (oxydation par ultra-violet, filtration sur charbon actif) dans les usines d’eaux en bouteille. Cela n’est pas surprenant et démontre simplement que la qualité de leur ressource s’est également détériorée. Des marques mettent ainsi en place ce type de traitement pour des eaux qui en étaient jusqu’ici préservées. Elles y sont désormais obligées pour garantir la qualité chimique de leurs eaux, ce qu’elles ne faisaient pas du tout auparavant.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *