Langues : faut-il accorder les mêmes droits au créole et au français en Martinique ?

Langues : faut-il accorder les mêmes droits au créole et au français en Martinique ?

La proportion est impressionnante : en Martinique, le créole est parlé ou compris par environ 80 % de la population ! Pour autant, son statut est celui de toutes les langues dites “régionales”. Il est réduit à la portion congrue à la télévision. Il n’est pas enseigné systématiquement dans les écoles publiques ou, quand il l’est, c’est à raison de quelques heures par semaine à peine. Et s’il est toléré dans les administrations, les entreprises et les assemblées locales, c’est par effraction. C’est pourquoi les élus antillais ont décidé de poser un acte politique fort. Le 25 mai dernier, ils ont voté la délibération suivante : “L’Assemblée de Martinique reconnaît la langue créole comme langue officielle de la Martinique, au même titre que le français.”

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Comme on pouvait s’y attendre, le préfet a aussitôt attaqué ce texte devant les tribunaux administratifs et, selon toute vraisemblance, la justice lui donnera raison in fine. Selon l’interprétation – contestée – du Conseil constitutionnel, le français doit être en effet partout la seule langue officielle de la République. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, pour les élus caribéens, consiste à passer d’un imaginaire à l’autre, à rappeler que toutes les langues se valent, et, au fond, à refuser une forme de colonialisme culturel. Il s’agit d’un “combat pour la dignité et l’identité du peuple martiniquais”, a commenté Serge Letchimy, le président du Conseil exécutif de Martinique.

Oh, bien sûr, dans ce territoire marqué par le chômage et la pauvreté, certains estiment que les priorités se situent ailleurs. “Se battre pour la langue n’empêche pas de prendre en compte et de s’occuper du chômage, des infrastructures ou de l’économie”, réplique à L’Express Michelle Monrose, la présidente de la commission culture, art et patrimoine de la collectivité. D’autres considèrent que l’anglais serait bien plus utile. “Non seulement la valorisation du créole est reconnue comme un excellent moyen de lutter contre l’illettrisme et de favoriser la maîtrise du français, reprend l’élue, mais il est évidemment possible d’apprendre plusieurs langues.” D’autres encore redoutent que cette revendication ne masque un désir de “distanciation” et de “rupture” avec la France, comme le soulignent les signataires d’une tribune. ” En rien, assure Michelle Monrose. Il s’agit simplement d’une volonté de reconnaissance de l’égale valeur des deux langues. Au demeurant, l’argument me paraît dangereux pour la France elle-même car il sous-entend qu’elle serait incapable de reconnaître sa diversité ; ce qui serait une marque de faiblesse.”

Le débat, on le voit, est tout autant politique que linguistique. Dans cette île où plane le lourd souvenir de l’esclavage, il réveille à Paris des complexes qui ne jouent pas quand on parle du breton, du basque ou de l’alsacien. Et pourtant , à bien y réfléchir, la question se pose aussi en métropole. “Aucune langue ne saurait se constituer en “centre”, prétendre à l’”universalité” ou se voir reléguée dans une périphérie, souligne l’écrivain Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt 1992 pour Texaco). L’idée d’une “langue officielle” s’inscrit dans l’imaginaire monolingue des proto-colonialistes. Ces barbares avaient hiérarchisé les langues entre elles pour mieux positionner la leur […]. Depuis, toute “langue officielle” se dresse sur un cimetière de langues minorées.”

En demandant à la France de revaloriser le statut du créole, les élus martiniquais tentent donc de renverser la hiérarchie instituée entre langue “haute” – à laquelle sont réservées toutes les fonctions de prestige – et langue “basse” – limitée aux usages du quotidien. Une hiérarchie qui, de fait, classe aussi les cultures et les civilisations.

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Quand France 2 entretient la glottophobie

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Les Français établis dans ce pays d’Amérique du Nord adoptent des expressions locales. Et ce n’est pas seulement une question d’intégration.

La région Grand Est s’oppose à “l’écriture inclusive”

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Participez au festival de la langue francique

Mir redde platt, (“Nous parlons le platt”), qui met à l’honneur cette langue germanique de Moselle, a commencé le 20 mars à Sarreguemines et se poursuivra tout au long de l’année. Au programme : films, bals, concerts et conférences.

Opération “printemps” pour l’alsacien

Seuls 3 % des Alsaciens de 18 à 24 ans parlent l’alsacien, alors que cette proportion s’élève à 69 % chez les plus de 55 ans et affiche une moyenne de 46 % dans l’ensemble de la population. Le Printemps de la langue régionale, qui se déroule de mars à juin, propose plus de 800 rendez-vous pour inverser cette tendance.

Quelle stratégie linguistique pour la France ?

“Lorsque disparaît une langue, disparaît avec elle la culture qu’elle véhiculait, c’est-à-dire une certaine lecture du monde, de la vie, des gens et des choses […]. En se privant des langues régionales, la France se prive des cultures qui s’y rapportent.” Partant de ce constat, Pierre Klein, président de la Fédération Alsace bilingue, a organisé en 2023 un colloque visant à explorer les concepts d’identité et de stratégie linguistique. Cet ouvrage rassemble les actes de ce colloque auquel j’ai eu le plaisir de participer.

Identité, politique et aménagement linguistiques. Actes du colloque. Sous la direction de Pierre Klein. Editions Fédération Alsace bilingue.

La Convivéncia, d’Alem Surre Garcia

Le concept de Convivéncia (“convivialité”, “coexistence”), commun aux cultures castillane, catalane, portugaise et occitane, a été repris depuis les années 1980 par le milieu occitaniste. Dans cet ouvrage, Alem Surre Garcia, tout à la fois essayiste, traducteur, poète et philosophe, s’interroge sur sa pertinence et son intérêt pour la société contemporaine.

La Convivéncia, par Alem Surre Garcia, Editions Troba Vox.

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Limiter les emprunts à l’anglo-américain aux termes qui enrichissent vraiment la langue française. Refuser ceux qui traduisent une forme de domination culturelle. Associer à cette démarche nos voisins allemands, italiens, roumains, croates soumis à la même pression. Telle est l’approche, ouverte et intéressante, proposée par l’Observatoire européen du plurilinguisme, consistant non pas à rejeter les anglicismes par principe, mais à instaurer “une politique de coexistence pacifique” entre les langues.

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