Mobilisation pro-palestinienne : face à la symbolique des “mains rouges”, l’ignorance a bon dos

Mobilisation pro-palestinienne : face à la symbolique des “mains rouges”, l’ignorance a bon dos

Qu’il est bon (et pratique) d’être jeune. “J’étais pas né” : tel est l’argument couteau-suisse convoqué par certains après le déclenchement de la polémique dite des “mains rouges”, pour justifier de la bonne foi avec laquelle des dizaines d’étudiants ont brandi leurs mains peintes couleur sang lors d’un rassemblement devant l’école de la rue Saint-Guillaume, vendredi 26 avril. En réponse aux tweets indignés de plusieurs observateurs telle l’élue socialiste de Strasbourg Pernelle Richardot, le dessinateur Joan Sfar ou encore le philosophe Raphaël Enthoven, qui ont dénoncé une référence au lynchage de deux réservistes israéliens à Ramallah en 2000 (l’un des assaillants avait montré ses mains ensanglantées à la foule), plusieurs défenseurs de l’initiative ont ainsi avancé le facteur de l’ignorance.

“Je n’avais pas cette référence, mes camarades non plus”, a par exemple assuré auprès de CheckNews (Libération) Hubert Launois, étudiant à Sciences Po et membre du Comité Palestinien. “Je suis né en 2004. En 2000, beaucoup n’étaient pas nés, ou bien avaient un ou deux ans. Ce n’est pas une image qui parle à notre génération”, a-t-il poursuivi, se disant “désolé” et précisant qu’à l’avenir, “il faudra faire attention à ce symbole”.

Et si c’était vrai ? Entre volonté de marquer les esprits et méconnaissance de l’histoire, une référence malheureuse est vite arrivée. Le 20 octobre, la jeune militante pour le climat Greta Thunberg avait publié une photo sur laquelle on la voyait poser avec une pancarte “Stand with Gaza” aux côtés de trois activistes, et d’une peluche à l’effigie d’une pieuvre bleue. Face au tollé – l’image de l’animal tentaculaire ayant été utilisée dans la propagande nazie dans les années trente pour représenter la dangerosité de la population juive – la Suédoise avait aussitôt supprimé la publication, plaidant la méconnaissance. “J’ai appris que l’animal en peluche illustré dans mon précédent message pouvait être interprété comme un symbole de l’antisémitisme, ce que j’ignorais totalement”, avait-elle assuré, avant de republier une photo similaire mais cette fois, sans la créature.

Ce facteur de l’ignorance, Ron Hassner, professeur de sciences politiques à la prestigieuse université de Californie à Berkeley l’a étudié. Dans un article publié dans le Wall Street Journal en décembre 2023, le professeur rapportait avoir sollicité un institut de sondages face au succès du slogan “From the river to the sea”, afin de demander à 250 étudiants aux profils variés quel fleuve et quelle mer la formule désigne selon eux. 53 % se disaient plutôt en faveur du slogan et 33 % “très en faveur”… Mais seuls 47 % étaient capables de nommer le fleuve et la mer en question. Il aura suffi de quelques rappels historiques (notamment sur les accords d’Oslo) et d’une carte montrant ce qu’impliquerait, concrètement, une Palestine allant de la Méditerranée au Jourdain (la disparition d’Israël), pour que près de 70 % des sympathisants disent ne plus cautionner le slogan.

Pluie de contre-exemples

Souvent, l’ignorance se reconnaît au mea culpa (ou rétropédalage) qui suit une fois l’erreur mise en évidence. Or, depuis le début de la polémique des mains rouges, certains persistent à défendre leur position à grands renforts de contre-exemples. Le 29 avril, l’activiste Ariane Anemoyannis faisait ainsi valoir sur le plateau de C ce soir (France 5) que “l’action des mains rouges, c’est le sang sur les mains, c’est la complicité avec le génocide et c’est même une action qui a été vue en Israël dans des manifestations (…) Il ne faut pas utiliser ça pour dire que les étudiants en France qui se battent contre les massacres sont pour le massacre des Juifs !” Face à ses dénégations, Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Open University of Israel, demandait “mais maintenant que vous savez (…), est-ce que vous allez arrêter avec ça ?” Reprise de la parole par un autre invité. Pas de réponse de la jeune femme.

De même, un article du blog Contre-attaque (notamment relayé par l’écrivaine Mona Chollet) a aussi pointé le sens commun de l’expression “avoir du sang sur les mains : l’expression qui désigne un crime est aussi vieille que la langue française, et a des équivalents dans le monde entier. C’est une image régulièrement utilisée pour dénoncer les bourreaux, les dictateurs, des criminels de guerre”. Mieux : l’article avance pêle-mêle de précédentes utilisations de la symbolique des mains rouges. Ainsi du défilé de manifestants aux mains ensanglantées après qu’un homme avait eu la main arrachée par une grenade à Notre-Dame-des-Landes en 2018, celui de femmes en soutien au droit des aborigènes ou encore le cas des partisans de Black Live Matters aux Etats-Unis.

En creux, se lit l’idée suivante : puisque qu’il n’y aurait qu’un cas de figure qui ferait référence au lynchage de soldats israéliens, et de nombreux autres dont la symbolique serait au contraire “anti-guerre”, alors – logique du plus grand nombre oblige – la polémique actuelle procéderait du faux-procès. Tant pis pour l’évidence, à savoir que la symbolique d’une image s’apprécie d’abord à l’aune du contexte dans lequel celle-ci est convoquée ; ici, celui de la guerre à Gaza qui oppose Israël et le Hamas.

Le bon sens n’aurait-il pas voulu, justement, que cette image ne soit pas convoquée – précisément en raison de sa polysémie et du parallèle avec le drame de Ramallah qui s’en suivrait à coup sûr ? Alors que les faux-procès amalgamant défense de la cause palestinienne et rejet d’Israël se multiplient, voilà que certains semblent ne pas (ou plus) craindre de les alimenter. Quitte à se faire, pour de vrai, les “idiots utiles” d’agitateurs de passions mieux renseignés.

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