François Zimeray : “La décence aurait voulu que le directeur de l’UNRWA démissionne”

François Zimeray : “La décence aurait voulu que le directeur de l’UNRWA démissionne”

C’est une organisation onusienne qui cristallise les tensions autour du conflit israélo-palestinien. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) est sous le feu des critiques depuis qu’Israël a affirmé, en janvier, que certains de ses employés avaient participé aux atrocités du 7 octobre. Son commissaire général, Philippe Lazzarini, s’est défendu en évoquant des “allégations” sans preuves et en dénonçant une “campagne insidieuse” de la part d’Israël pour mettre un terme à l’agence. Le rapport d’un groupe d’examen indépendant sur la neutralité de l’UNRWA doit être remis dans les prochains jours au secrétaire général de l’ONU par l’ancienne ministre des Affaires étrangères française Catherine Colonna.

Avocat et ancien ambassadeur pour les droits de l’homme, François Zimeray représente des familles de victimes du 7 octobre, dont la mère de Jonathan Samerano, jeune homme parti assister au festival SuperNova et dont le corps probablement sans vie a été enlevé à bord d’un véhicule de l’UNRWA. “Comment puis-je expliquer à la mère de Jonathan que les terroristes qui ont enlevé et martyrisé son fils avaient un badge et un bulletin de salaire d’une agence de l’ONU ?” s’indigne aujourd’hui François Zimeray, qui estime que “plus que jamais, les Palestiniens ont droit à une aide sociale, éducative et sanitaire”, mais appelle à “remettre à plat en profondeur les missions de l’UNRWA, son fonctionnement et sa gouvernance”. Entretien.

L’Express : Vous êtes l’avocat d’une femme dont le fils a été enlevé le 7 octobre. Que s’est-il passé ce jour-là ?

François Zimeray : Comme tant d’autres jeunes partis danser au festival de musique SuperNova, Jonathan a été kidnappé, il est aujourd’hui donné pour mort. Son enlèvement a été filmé. Sur cette vidéo, on voit des hommes charger son corps avec d’autres à l’arrière d’un SUV blanc. Ce véhicule appartient à l’UNRWA. Au début, les enquêteurs ont cru que le véhicule avait été volé. Puis l’enquête a établi que l’auteur du kidnapping meurtrier, Faisal Ali Mussalem al-Naami, était employé de l’UNRWA. Apparemment, il ne s’agirait pas d’un cas isolé. D’autres salariés de l’agence onusienne auraient pris part aux atrocités du 7 octobre. Ce n’est pas tout, cette guerre a mis au jour une réalité dénoncée depuis des années : l’existence de tunnels du Hamas qui servent de repaires et de caches d’armes aux terroristes et aboutissent dans des bâtiments de l’UNRWA, se branchant sur leur tableau électrique.

“Soit la direction de l’UNRWA ignorait tout de ce qui passait chez elle, et c’est un problème de gouvernance. Soit elle savait, et c’est une question de complicité”, dénonce l’avocat François Zimeray.

Qu’attendez-vous comme réponse de la part de l’UNRWA ?

Soit la direction de l’UNRWA ignorait tout de ce qui passait chez elle, et c’est un problème de gouvernance, soit elle savait, et c’est une question de complicité. Nous parlons de faits très graves, d’une attaque à caractère génocidaire, “le plus grand massacre antisémite de notre siècle”, comme l’a justement souligné le président de la République. Cette agression a plongé dans le malheur des innocents par milliers, palestiniens comme israéliens. Comment puis-je expliquer à la mère de Jonathan que les terroristes qui ont enlevé et martyrisé son fils avaient un badge et un bulletin de salaire d’une agence de l’ONU ? Il me semble que la décence aurait voulu que ce directeur démissionne.

Le chef de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, s’est défendu en évoquant des “allégations” et en soulignant qu’Israël n’avait pas fourni les preuves de ces accusations…

Il est exact que chaque allégation doit être vérifiée. Mais l’argument est malhonnête, car ces informations ont été jugées suffisamment crédibles pour que plusieurs employés suspectés d’avoir commis des atrocités soient immédiatement suspendus. Cela signifie que M. Lazzarini considère ces faits comme autant de dérives individuelles qui n’engageaient pas l’organisation qu’il dirige. Pour lui, la gouvernance n’y serait pour rien, alors que les alertes avaient été données depuis longtemps. Sa réponse n’est pas à la hauteur de la tragédie. C’est une attitude qui n’est ni digne d’un responsable censé incarner les valeurs de la charte des Nations unies ni respectueuse des donateurs, des contribuables, qui devraient pouvoir être assurés que leurs fonds sont correctement utilisés.

J’ajoute que la rigueur avec laquelle on questionne les faits doit être la même à l’égard de toutes les parties. On ne peut qu’être choqué de voir une critique sur les sources émaner de personnes qui prennent pour argent comptant toutes les autres informations qui nous viennent de Gaza, par exemple les tirs sur l’hôpital imputés à Israël alors qu’ils venaient du Hamas, ou encore les chiffres repris en boucle qui proviennent du “ministère de la Santé” du Hamas, que personne n’a jamais pu vérifier…

Des dérives individuelles engagent-elles la responsabilité de toute une organisation ?

C’est une question que tout responsable doit se poser. Il me semble que le 7 octobre n’est pas un simple fait divers mais une tragédie historique, porteuse d’une cascade de souffrances. J’ajoute que l’UNRWA n’est pas non plus une organisation comme une autre : elle engage l’ONU, les pays donateurs, elle doit agir pour la paix et non semer la haine. Il me semble que c’est aussi le sens de l’Histoire, celui d’une responsabilité de bout en bout, qui impose une vigilance renforcée, c’est vrai pour les entreprises, c’est a fortiori vrai pour les institutions internationales.

L’UNRWA participe de ce consensus implicite pour la non-résolution du conflit

Que peuvent faire les institutions contre la haine ?

Le meilleur exemple, c’est l’Europe, qui ne s’est pas seulement construite par le charbon, l’acier et l’euro, mais s’est d’abord faite par une nouvelle approche de l’éducation, l’Office franco-allemand pour la jeunesse [Ofaj]. A ce moment-là, nous avons appris à regarder l’ennemi héréditaire avec d’autres yeux, à le nommer avec d’autres noms. Tout le contraire de ce que fait l’UNRWA, dont les enseignants utilisent un matériel pédagogique qui empoisonne l’âme des enfants depuis des générations.

Vous avez été ambassadeur pour les droits de l’homme. Que reprochez-vous sur le fond à l’UNRWA ?

Je me suis rendu à Gaza, dans les camps palestiniens du Liban, à Sabra et Chatila, j’y ai fait des rencontres inoubliables. Je sais qu’il y a là-bas des hommes et des femmes qui sont nos égaux en dignité et auxquels me relie une fraternité universelle. J’ai vu le travail de l’UNRWA, il y a des aspects positifs, indispensables. Mais je sais aussi que, sur plusieurs générations, l’UNRWA a contribué à la perpétuation des antagonismes. C’est une organisation totalement dérogatoire qui consacre un statut de réfugié héréditaire et sans cesse ravive les braises d’un retour utopique sur la terre ancestrale. Je suis depuis toujours fermement opposé aux colonies juives, mais Israël n’est pas une colonie, c’est un Etat légitime, sauf dans la rhétorique pour laquelle l’UNRWA ne devrait pas avoir la moindre tolérance.

Partout dans le monde, les réfugiés ont vocation à s’intégrer. Qu’est-il advenu du million de juifs chassés des pays arabes, quelle agence de l’ONU leur est venue en aide ? Chez nous, en Europe, beaucoup de ceux qui militent pour un meilleur accueil des migrants et pour leur intégration ne s’étonnent pas qu’en Syrie, au Liban, les Palestiniens n’aient jamais été acceptés, que le droit du sang prévale sur celui du sol. Comme si, pour ces pays arabes, intégrer les réfugiés palestiniens de 1948 signifiait légitimer l’existence d’Israël qu’ils ont toujours refusée.

Et puis il y a cette porosité fonctionnelle avec le Hamas et le Djihad islamique, que l’UNRWA ne qualifie pas de terroristes et avec lesquels elle compose au quotidien pour accomplir ses missions. En somme, l’UNRWA participe de ce consensus implicite pour la non-résolution du conflit, sur le dos des peuples de la région, au premier chef des Palestiniens. Depuis 1949, l’agence onusienne aura contribué à verser le sel sur une plaie que les années n’ont pas cicatrisé.

Il faut impérativement maintenir une aide d’urgence à Gaza – et même prévoir une aide massive à la reconstruction après le conflit

La France, qui s’en remet aux conclusions d’un comité indépendant chargé d’évaluer la neutralité de l’UNRWA, doit-elle selon vous continuer à financer cet organisme ?

Plus que jamais, les Palestiniens ont droit à une aide sociale, éducative et sanitaire. Mais cette aide – qui absorbe une part considérable de la contribution humanitaire mondiale – peut-elle se faire sans contrôle ni évaluation ? Doit-elle passer par l’UNRWA ou par des opérateurs neutres et spécialisés qui ont fait leurs preuves partout ailleurs dans le monde, comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’Unicef et certaines ONG, par exemple ? S’agissant de fonds publics, la France doit conduire sa propre évaluation, par exemple par la Cour des comptes.

N’y a-t-il pas aujourd’hui une instrumentalisation par la droite israélienne de ce sujet afin de remettre en question l’existence même de l’UNRWA ?

Il y a, d’un côté, le gouvernement israélien, qui veut “la peau de l’UNRWA” et, de l’autre, le secrétaire général des Nations unies, qui veut à tout prix “sauver l’UNRWA”. Ce qui me frappe, c’est que personne ne se pose la question dans ces termes : cette institution a-t-elle rempli sa mission ? A-t-elle, en soixante-dix ans, servi efficacement la cause de la paix ? Est-elle suffisamment indépendante ? Dispose-t-on d’une visibilité suffisante sur son action ? Ces questions-là sont légitimes et la gauche israélienne les pose depuis des décennies.

Au vu de la situation alarmante sur le plan humanitaire à Gaza, est-ce vraiment le moment de remettre en question le rôle de l’UNRWA ?

D’un côté, c’est le pire moment, parce que les populations civiles palestiniennes sont très durement éprouvées et qu’elles ont plus que jamais le droit d’être secourues et assistées. D’un autre, après ce qu’il s’est passé, on ne peut pas faire l’impasse sur ces questions : comment l’UNRWA ne s’est-elle pas aperçue qu’un massacre de l’ampleur de celui du 7 octobre se préparait avec certains de ses salariés, dans ses infrastructures et à l’aide de son matériel ? Quelle est sa part de responsabilité dans cette tragédie dont souffrent tant de civils innocents de part et d’autre ? Il faut donc impérativement maintenir une aide d’urgence – et même prévoir une aide massive à la reconstruction après le conflit – et remettre totalement à plat les missions de l’UNRWA, son fonctionnement et sa gouvernance.

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