Leadership “quantique” et “vibratoire” : les étranges cours de la faculté de Montpellier

Leadership “quantique” et “vibratoire” : les étranges cours de la faculté de Montpellier

Après la crème “quantique”, le master ? L’université Paul Valéry, à Montpellier, est dans la tourmente, depuis mercredi. En cause : un de leurs masters de sciences humaines se revendique d’une approche pédagogique “quantique“. De quoi laisser pantois les scientifiques : le terme ne s’applique qu’aux particules élémentaires, comme les électrons ou les photons.

Que vient donc faire cette notion de physique dans un très sérieux diplôme de science de l’éducation, reconnu par l’Etat ? A moins de réduire la dizaine d’employés des ressources humaines qui suivent ces cours chaque année à de la poussière de poussière, impossible de se référer à ce domaine de recherche. Dénichée par un youtubeur spécialisé sur ces sujets, G Milgram, la plaquette de ce master ne cesse de tourner sur les réseaux sociaux.

Plusieurs scientifiques ont interpellé publiquement l’université, et son communicant, Fabrice Chomarat. Parmi eux, des noms influents, comme le physicien Etienne Klein, le docteur Jérôme Barrière, membre du Conseil scientifique de la société française du cancer, ou le chercheur critique Lonni Besançon. En pleines vacances, l’infrastructure a dû se mettre sur le pied de guerre pour répondre au “bad buzz”.

L’ire des scientifiques

L’affaire en rappelle une autre. En janvier dernier, l’entreprise cosmétique Guerlain avait elle aussi utilisé à contresens le mot “quantique”, pour vendre une de ses crèmes. Celle-ci aurait pu restaurer la lumière de la peau, grâce à des effets quantiques, était-il suggéré. Un glissement courant : depuis la découverte des propriétés quantiques de la matière au siècle dernier, des croyances sur cette science ne cessent d’émerger, au gré des époques, comme l’a montré L’Express.

Interrogée par L’Express, la responsable du master, qui existe depuis 2011, rétorque avoir simplement voulu préciser la “philosophie”, dans laquelle s’inscrivent ses cours. “Mon master n’est pas quantique. Mais il s’inspire des dernières recherches sur le cerveau. Elles démontrent que des effets quantiques surviennent lors des processus neuronaux. Ces mécanismes sont d’ailleurs la base de la pleine conscience, que j’enseigne dans mes cours”. Et d’ajouter : “Les outils que j’utilise renvoient à cette dimension, tout est intriqué.”

La polémique se réduirait, selon l’enseignante, à une guerre de chapelles, sur qui peut utiliser les termes de la physique quantique, ces états dits “intriqués”, “superposés” bien spécifique à ce domaine. Une position pour le moins controversée : oui, certains chercheurs étudient les phénomènes quantiques des particules du vivant. Mais pas de quoi nous aider à penser, ou manager. Et pour cause : plusieurs scientifiques, dont le prix Nobel 2022 Alain Aspect, ont montré que les effets dits “quantiques” disparaissent lorsque la matière n’est pas isolée.

Les théories pseudoscientifiques du taux vibratoire

Les associations entre les phénomènes quantiques et le monde qui nous entoure sont donc, par essence, toutes trompeuses. Et se retrouvent bien souvent dans les théories et dérives pseudoscientifiques. Si bien qu’en 2021, le mot figurait dans le rapport de la Miviludes, la mission interministérielle de lutte en la matière. Un langage, qui lorsqu’il est utilisé pour d’autres questions que la science des particules “donne une illusion de sérieux à un contenu imprécis et non exempt d’amateurisme”, est-il écrit.

Le master de Montpellier vise aussi à former au leadership “vibratoire”. Les “mots ont une charge émotionnelle vibratoire négative ou positive, même si nous n’avons pas les outils pour le mesurer”, explique la directrice du master à L’Express, laissant entendre qu’ils modifieraient nos “fréquences”. Des références aux théories pseudoscientifiques du taux vibratoire, selon lesquelles nos humeurs, nos gestes ou nos pensées modifieraient nos “fréquences”. De fausses interprétations, elles aussi associées à des dérives, et citées par la Miviludes.

Sur cet aspect, la responsable, docteur en neuropsychologie, raconte utiliser ces “notions” pour renvoyer vers les compétences de son cours : la gestion émotionnelle en situation professionnelle, l’empathie, bienveillance, le travail de l’égo dans le cadre d’une relation d’autorité, etc. Des savoir-être qu’elle transmet également dans le cadre d’un stage annuel dans un centre bouddhiste, le Lérab Ling affilié à l’école de Nyingmapa, une branche de la religion axée sur l’ésotérisme et le tantrisme.

Autant d’écarts avec la rigueur interrogent. Comment ces croyances pseudoscientifiques ont-elles pu perdurer autant de temps, à l’université, lieu de production des savoirs ? D’autant plus que les masters reconnus doivent être validés en interne, puis par la direction générale de l’enseignement supérieur. Ni ces instances, ni le Haut conseil de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’institution qui évalue les universités, n’ont tiqué. Cette dernière avait pourtant dressé le bilan de l’université en 2021. Aucune mention n’y est faite.

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