Sciences Po, Mélenchon… Comment l’activisme propalestinien s’infiltre dans les facs françaises

Sciences Po, Mélenchon… Comment l’activisme propalestinien s’infiltre dans les facs françaises

“Auschwitz planète”, “sionistes = nuls”, “antifa donc antisioniste”… Dans les locaux de la Sorbonne nouvelle, à Paris, ces tags à connotation antisémite et antisioniste, que L’Express a pu consulter, ont été tracés durant le mois d’avril. “Danny Mouchard, viens nettoyer” ont également écrit les graffeurs, provocation ricanante à l’endroit du président de l’université. Et une allusion claire à l’épisode du 4 avril. Ce jour-là, une trentaine de militants manifestent contre la tenue d’une conférence de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). “Sionistes hors de nos facs”, écrivent-ils sur une banderole déployée devant l’entrée de l’établissement. Daniel Mouchard se rend sur les lieux, appelle la police, et fait disperser le rassemblement. Une poignée d’étudiants sont désormais visés par une procédure disciplinaire et par un signalement judiciaire.

Depuis le 7 octobre 2023, le militantisme propalestinien essaime à l’université ; l’activisme virulent et perturbateur prend une place grandissante, même s’il émane d’une infime minorité d’étudiants. Dans les jours qui suivent l’attaque du Hamas, des déclarations, çà et là, témoignent d’un soutien à l’organisation terroriste. A Toulouse Jean-Jaurès, une vingtaine de militants de la Ligue de la jeunesse révolutionnaire s’immortalisent dans un amphithéâtre, le 11 octobre, derrière la banderole “Le Mirail soutient la résistance palestinienne”. “Hier, des résistants palestiniens ont lancé une attaque contre Israël”, écrit aussi Sciences Palestine, une association de Sciences Po Menton, le 8 octobre, sur Instagram. Convoqués par la direction, les étudiants effacent leur message, expriment leurs regrets. A l’EHESS, le syndicat Solidaires diffuse un tract apportant son “soutien indéfectible à la lutte du peuple palestinien dans toutes ses modalités et formes de lutte, y compris la lutte armée”. Romain Huret, le président de l’école, signale une possible apologie du terrorisme sur la plateforme Pharos. Plusieurs de ces étudiants ont été récemment entendus par la police.

Selon France Universités, 67 actes antisémites ont été dénombrés dans les établissements depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël, contre 33 sur l’année universitaire 2022-2023. “Il y a également eu quatre signalements par les établissements au procureur de la République au titre de l’article 40 pour des faits d’antisémitisme en 2022-2023. Il y en a huit depuis le 7 octobre”, a insisté Guillaume Gellé, le président de l’association, le 10 avril au Sénat, où une mission sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur a été lancée. Paris VIII fait partie de ces universités où des inscriptions antisémites ont donné lieu au dépôt d’une plainte. Mais, le plus souvent, la défiance à l’égard des étudiants juifs qui ne se seraient pas suffisamment démarqués d’Israël prend une autre forme, plus insidieuse. “Je parle souvent d’ostracisation au quotidien. Dans un établissement, c’est une étudiante avec qui personne ne veut faire un exposé. Dans un autre, c’est une atmosphère où la vie sociale du campus est organisée autour du soutien à Gaza. Mais j’ai aussi un cas où une étudiante a retrouvé des inscriptions antisémites comme ‘sale juive’ sur la place où elle s’assoit tout le temps”, décrit Samuel Lejoyeux, le président de l’UEJF.

“Un avant et un après 12 mars”

Le responsable associatif dépeint “un avant et un après 12 mars” dans les universités. Ce jour-là, une centaine d’étudiants de Sciences Po, militants de la cause palestinienne, prennent possession de l’amphithéâtre Boutmy. Une étudiante de l’UEJF est refoulée à l’entrée de la salle, les versions s’opposent sur les motifs, en particulier autour de la phrase “ne la laissez pas rentrer, c’est une sioniste”, que personne ne reconnaît pour l’heure avoir prononcée. Le gouvernement, puis Sciences Po saisissent la justice, et Jean-Luc Mélenchon se lance dans la bataille en accumulant dès lors les conférences dans les facultés, cinq depuis le 14 mars.

Ce 25 avril, l’ancien candidat à la présidentielle a relayé le tweet d’encouragements du député lambertiste Jérôme Legavre (groupe LFI) : “En France, les étudiants de Sciences Po Paris imitent les étudiants américains. Ils ont raison. Leur exemple est à suivre partout.” Référence à l’occupation nocturne des locaux de la grande école, ces 24 et 25 avril, par une cinquantaine d’étudiants. Des tentes ont été installées dans les jardins de l’établissement, la police est intervenue le premier soir. Parmi les revendications du comité Palestine, soutenu par l’Union étudiante, syndicat très proche de La France insoumise, la suspension des partenariats avec des institutions israéliennes et la “cessation immédiate des poursuites disciplinaires” contre les occupants du 12 mars.

La généalogie de cette mobilisation du 12 mars illustre les rapprochements militants, depuis sept mois, entre un militantisme d’extrême gauche historiquement virulent à l’égard d’Israël et la sphère d’influence de La France insoumise. “Jean-Luc Mélenchon cherche clairement à récupérer le mouvement après que des groupes plus violents ont préparé le terrain”, estime Samuel Lejoyeux. Tout commence début janvier 2024, lorsque le mouvement Scholars Against the War on Palestine (SAWP), animé par le Canadien David McNally, professeur de science politique à Toronto et figure de l’extrême gauche nord-américaine, appelle les enseignants du monde entier à s’élever contre l’offensive israélienne à Gaza. Ambigu à l’égard du Hamas, qu’il juge à la fois “sincère” et “étranger à la gauche révolutionnaire”, dit-il dans un entretien au média Tempest, en février 2024, McNally justifie le massacre du 7 octobre, qualifié de “tentative de restaurer l’idée de résistance”.

En France, cette initiative est immédiatement invoquée par un collectif d’enseignants, d’étudiants et de militants, signataires d’un “Appel du monde académique français pour la Palestine : arrêt immédiat de la guerre génocidaire !”, publié dans L’Humanité le 9 janvier. Les deux principaux animateurs de ce réseau français sont Sbeih Sbeih, chercheur associé au CNRS et ancien président de la branche parisienne de l’Union générale des étudiants de Palestine en France, ainsi qu’Hèla Yousfi, maître de conférences à Paris Dauphine-PSL. “Long live palestinian resistance !”, écrit cette universitaire le 7 octobre sur Twitter. Le 22 février, la coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP), nouvellement créée, reprend mot pour mot le texte paru dans L’Humanité, et appelle à “une journée de mobilisation universitaire européenne en solidarité avec la Palestine” le 12 mars. Laquelle inspirera donc l’occupation de l’amphithéâtre à Sciences Po.

Entre-temps, des organisations comme Solidaires, le NPA ou Révolution permanente, le groupuscule dont l’actrice Adèle Haenel est proche, ont apporté leur soutien au mouvement. Dans les comités Palestine universitaires, les appartenances et les nuances idéologiques d’origine se confondent souvent. Charge aux présidences d’établissement de faire la distinction entre l’antisémitisme puni par la loi, l’antisionisme qui flirte avec l’appel à la haine et un militantisme radical protégé par la liberté d’expression. “Certes, les organisations étudiantes doivent bénéficier d’une liberté d’expression, mais, à partir du moment où celle-ci ne s’exprime plus dans un cadre démocratique, on ne peut plus l’appeler ainsi. Rien n’empêche d’exprimer ses options idéologiques, à condition de ne pas passer par la menace”, estime Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République.

Les activistes, eux, estiment être souvent victimes d’une répression politique. “La plupart des mouvements d’occupation ou des manifestations sont pacifistes, or nous sommes victimes d’une véritable forme de répression, et ce n’est pas assez dit. Il y a une forme d’instrumentalisation de la question de l’antisémitisme, dont on se sert pour nuire au mouvement antigénocidaire”, dénonce Alice*, une militante du comité Palestine de Panthéon-Sorbonne. “Nous sommes sur une ligne de crête, résume Romain Huret. Si la liberté d’expression et d’association fait partie de la démocratie universitaire, les manifestations d’antisémitisme et de racisme sont évidemment interdites.”

*Le prénom a été changé

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